Les Textes Du Shivaïsme du Cachemire
LE VIJNÂNA BHAIRAVA TANTRA
Exposé de la voie du yoga, originellement composé en sanskrit avant le IXe siècle, qui présente cent-douze dharanas ou techniques de concentration dont chacune procure l’expérience immédiate de l’union avec Dieu.
LES SHIVAS SUTRAS
Les Shiva Sutras sont les Écritures de référence du shivaïsme du Cachemire. Ce texte en sanskrit révélé par le Seigneur Shiva au sage Vasugupta au IXe siècle, comporte soixante-dix-sept sutras ou aphorismes qui décrivent la nature de la Conscience.
LE SPANDA KARIKA
C’est l’un des textes fondamentaux du shivaïsme du Cachemire ; ce recueil de cinquante-trois versets composé au IXe siècle, décrit comment le yogi, qui demeure vigilant et éveillé, peut percevoir la vibration divine – ou spanda – à tout instant de sa vie quotidienne, et ainsi recouvrer la vision de la conscience de l’unité.
LE PRATYABHJNAHRDAYAM
Traduit littéralement par Le Cœur de la doctrine de la récognition, c’est un traité du XIe siècle écrit par Kshemaraja. Il établit essentiellement que l’individu a oublié sa véritable nature en s’identifiant avec le corps. La réalisation est le processus qui consiste à reconnaître ou à se remémorer sa véritable nature, le Soi intérieur, imprégné de félicité suprême et d’amour.
LE VIJNÂNA BHAIRAVA TANTRA
Traduction Daniel ODIER
Bhaïrava et Bhaïravi, amoureusement unis dans la même connaissance, sortirent de l’indifférencié pour que leur dialogue illumine les êtres.
1. Bhaïravi, la Shakti de Bhaïrava dit:
Ô Dieu, toi qui manifestes l'univers et te joue de cette manifestation, tu n’es autre que mon Soi. J’ai reçu l'enseignement du Trika qui est la quintessence de toutes les écritures sacrées cependant, j'ai encore quelques doutes.
2-4. Ô Dieu, du point de vue de la réalité absolue, quelle est la nature essentielle de Bhaïrava?
Réside-t-elle dans l'énergie liée aux phonèmes ? Dans la réalisation de la nature essentielle liée à Bhaïrava? Dans un mantra particulier? Dans les trois Shakti ? Dans la présence du mantra vivant dans chaque mot? Dans le pouvoir du mantra présent dans chaque particule de l'univers? Réside-t-elle dans les chakras ? Dans le son ha? Ou bien est-ce uniquement la Shakti?
5-6. Ce qui est composé est-il issu de l'énergie immanente et transcendante ou ne ressort-il que de l'énergie immanente? Si ce qui est composé ne ressort que de l'énergie transcendante, la transcendance même n'aurait alors plus d'objet. La transcendance ne peut être différenciée en sons et en particules car sa nature indivise ne lui permet pas de se trouver dans le multiple.
7-10. Ô Seigneur, que ta grâce abolisse mes doutes!
Parfait! Parfait! Tes questions, Ô Bien-aimée, forment la quintessence des Tantras. Je vais t'exposer un savoir secret. Tout ce qui est perçu comme une forme composée de la sphère de Bhaïrava doit être considéré comme une fantasmagorie, une illusion magique, une cité fantôme suspendue dans le ciel. Une telle description n'a comme objet que de pousser ceux qui sont en proie à l'illusion et aux activités mondaines à se tourner vers la contemplation. De tels enseignements sont destinés à ceux qui sont intéressés par les rites et les pratiques extérieures et sont soumis à la pensée dualisante.
11-13. Du point de vue absolu, Bhaïrava n'est associé ni aux lettres, ni aux phonèmes, ni aux trois Shakti, ni à la percée des chakras, ni aux autres croyances, et la Shakti ne compose pas son essence. Tous ces concepts exposés dans les écritures sont destinés à ceux dont l'esprit est encore trop immature pour saisir la réalité suprême. Ils ne sont que des friandises destinées à inciter les aspirants à une voie de conduite éthique et à une pratique spirituelle afin qu'ils puissent un jour réaliser que la nature ultime de Bhaïrava n'est pas séparée de leur propre Soi.
14-17. L'extase mystique n'est pas soumise à la pensée dualisante, elle est totalement libérée des notions de lieu, d'espace et de temps. Cette vérité ne peut être touchée que par l'expérience. On ne peut l'atteindre que lorsqu’on se libère totalement de la dualité, de l'ego, et qu'on s'établit fermement dans la plénitude de la conscience du Soi. Cet état de Bhaïrava est gorgé de la pure félicité de la non différenciation du tântrika et de l'univers, lui seul est la Shakti. Dans la réalité de sa propre nature ainsi reconnue et contenant l'univers entier, on touche à la plus haute sphère. Qui donc pourrait être adoré? Qui donc pourrait être comblé par cette adoration? Seule cette condition de Bhaïrava reconnue comme suprême est la grande Déesse.
18-19. Comme il n'y a plus de différence entre la Shakti et celui qui la possède, ni entre substance et objet, la Shakti est identique au Soi. L'énergie des flammes n'est autre que le feu. Toute distinction n'est qu'un prélude à la voie de la véritable connaissance.
20-21. Celui qui accède à la Shakti, saisit la non-distinction entre Shiva et Shakti et passe la porte d'accès au divin. Ainsi qu'on reconnaît l'espace illuminé par les rayons du soleil, ainsi reconnaît-on Shiva grâce à l'énergie de Shakti qui est l'essence du Soi.
22-23. Ô Dieu suprême! Toi qui porte un trident et un collier de crânes, comment atteindre la plénitude absolue de la Shakti qui transcende toute notion, toute description et abolit le temps et l'espace? Comment réaliser cette non dualité avec l'univers? Dans quel sens dit-on que la suprême Shakti est la porte secrète de l'état Bhaïravien? Peux-tu répondre par le langage conventionnel à ces questions absolues?
Bhaïrava répond :
24. La suprême Shakti se manifeste lorsque le souffle inspiré et le souffle expiré naissent et s’éteignent aux deux points situés en haut et en bas. Ainsi, entre deux respirations, fais l'expérience de l'espace infini.
25. A travers le mouvement et l'arrêt du souffle, entre l'expiration et l'inspiration, lorsqu’il s'immobilise aux deux points extrêmes, cœur intérieur et cœur extérieur, deux espaces vides te seront révélés: Bhaïrava et Bhaïravi.
26. Le corps relâché au moment de l'expiration et de l'inspiration, perçois, dans la dissolution de la pensée duelle, le cœur, centre de l'énergie ou s'écoule l' essence absolue de l'état Bhaïravien.
27. Lorsque tu as inspiré ou expiré complètement et que le mouvement s'arrête de lui-même, dans cette pause universelle et paisible, la notion du "moi" disparaît et la Shakti se révèle.
28. Considère la Shakti comme une vive luminosité, de plus en plus subtile, portée de centre en centre, de bas en haut, par l'énergie du souffle, au travers de la tige de lotus. Lorsqu'elles'apaise dans le centre supérieur, c'est l'éveil de Bhaïrava.
29. Le cœur s'ouvre et, de centre en centre, la Kundalini s'élance comme l'éclair. Alors se manifeste la splendeur de Bhaïrava.
30. Médite sur les douze centres d'énergie, les douze lettres conjointes et libère-toi de la matérialité pour atteindre à la suprême subtilité de Shiva.
31. Concentre l'attention entre les deux sourcils, garde ton esprit libre de toute pensée dualisante, laisse ta forme se remplir avec l'essence de la respiration jusqu'au sommet de la tête et là, baigne dans la spatialité lumineuse.
32. Imagine les cinq cercles colorés d’une plume de paon comme étant les cinq sens disséminés dans l'espace illimitée et réside dans la spatialité de ton propre cœur.
33. Vide, mur, quel que soit l'objet de contemplation, il est la matrice de la spatialité de ton propre esprit.
34. Ferme les yeux, vois l'espace entier comme s'il était absorbé par ta propre tête, dirige le regard vers l'intérieur, et là, vois la spatialité de ta vraie nature.
35. Le canal central est la Déesse, telle une tige de lotus, rouge à l'intérieur, bleue à l'extérieur. Il traverse ton corps. En méditant sur sa vacuité interne, tu accéderas à la spatialité divine.
36. Bouche les sept ouvertures de la tête avec tes mains et fonds-toi dans le bindu, l'espace infini, entre les sourcils.
37. Si tu médites dans le cœur, dans le centre supérieur ou entre les deux yeux, se produira l'étincelle qui dissoudra la pensée discursive, comme lorsqu’on effleure les paupières avec lesdoigts. Tu te fondras alors dans la conscience suprême.
38. Entre dans le centre du son spontané qui vibre de lui-même comme dans le son continu d'une cascade, ou, mettant les doigts dans les oreilles, entend le son des sons et atteins Brahman, l'immensité.
39. Ô Bhaïravi, chante OM , le mantra de l'union amoureuse de Shiva et Shakti, avec présence et lenteur. Entre dans le son et lorsqu'il s'éteint, glisse dans la liberté d'être.
40. Concentre-toi sur l'émergence ou la disparition d'un son puis accède à la plénitude ineffable du vide.
41. En étant totalement présent au chant, à la musique, entre dans la spatialité avec chaque son qui émerge et se dissout en elle.
42. Visualise une lettre, laisse-toi remplir par sa luminosité. La conscience ouverte, entre dans la sonorité de la lettre, puis dans une sensation de plus en plus subtile. Lorsque la lettre se dissout dans l'espace, sois libre.
43. Lorsque tu saisis la spatialité lumineuse de ton propre corps irradiant dans toutes les directions, tu te libères de la dualité et t'intègres à l'espace.
44. Si tu contemples simultanément la spatialité du haut et celle de la base, l'énergie hors du corps te porte au-delà de la pensée dualisante.
45. Réside simultanément dans la spatialité de la base, dans celle du cœur et dans celle du sommet. Ainsi, par l'absence de pensée dualisante, s'épanouit la conscience divine.
46. En un instant, perçois la non-dualité en un point du corps, pénètre cet espace infini et accède à l'essence libérée de la dualité.
47. Ô femme aux yeux de gazelle, laisse l'éther pénétrer ton corps, fonds-toi dans l'indicible spatialité de ton propre esprit.
48. Suppose que ton corps est pur spatialité lumineuse contenue par la peau et accède au sans limite.
49. Ô Beauté! les sens disséminés dans l’espace du cœur, perçois l'essence de la Shakti comme une poudre d'or d'une indicible finesse qui scintille en ton cœur et de là se déverse dans l'espace. Alors tu connaîtras la béatitude suprême.
50. Lorsque ton corps est tout entier pénétré de conscience, l'esprit unipointé se dissout dans le cœur et tu pénètres alors la réalité.
51. Fixe ton esprit dans le cœur en te livrant aux activités du monde, ainsi l'agitation disparaîtra et en quelques jours tu connaîtras l’indescriptible.
52. Concentre-toi sur un feu de plus en plus ardent qui monte de tes pieds et te consume entièrement. Lorsqu’il ne reste que cendres dispersées par le vent, connais la tranquillité de l'espace qui retourne à l'espace.
53. Vois le monde entier transformé en un gigantesque brasier. Puis, lorsque tout n'est que cendre, entre dans la béatitude.
54. Si les tattvas de plus en plus subtils sont absorbés en leur propre origine, la suprême Déesse te sera révélée.
55. Arrive à une respiration intangible, concentrée entre les deux yeux, puis lorsque naît la lumière laisse descendre la Shakti jusqu'au Cœur et là, dans la présence lumineuse, au moment de l'endormissement, atteins la maîtrise des rêves et connais le mystère de la mort elle-même.
56. Considère l'univers entier comme s'il se dissolvait dans des formes de plus en plus subtiles jusqu'à sa fusion dans la pure conscience.
57. Si tu médites sur le Shiva tattva qui est la quintessence de l'univers entier sans connaître de limite dans l'espace, tu connaîtras l'ultime extase.
58. Ô Grande Déesse! Perçois la spatialité de l'univers et deviens la jarre qui le contient.
59. Regarde un bol ou un récipient sans en voir les côtés ou la matière. En peu de temps prends conscience de l'espace.
60. Séjourne dans un lieu infiniment spacieux, dépourvu d'arbres, de collines, d'habitations; laisse ton regard se dissoudre dans l'espace vierge, de là vient la détente de l'esprit.
61. Dans l'espace vide qui sépare deux instants de conscience, se révèle la spatialité lumineuse.
62. Au moment précis ou tu as l'impulsion de faire quelque chose, arrête-toi. Alors n'étant plus dans l'impulsion qui précède ni dans celle qui suit, la réalisation s'épanouit avec intensité.
63. Contemple les formes indivises de ton propre corps et celles de l'univers entier comme étant d'une même nature, ainsi, ton être omniprésent et ta propre forme reposeront dans l'unité et tu atteindras la nature de la conscience.
64. Dans toute activité, concentre-toi sur l'espace qui sépare l'inspiration de l'expiration. Ainsi, accède à la félicité.
65. Ressens ta substance: os, chair et sang, saturée par l'essence cosmique, et connais la suprême félicité.
66. Ô Belle aux yeux de gazelle, considère les vents comme ton propre corps de félicité. Au moment où tu frémis, accède à la présence lumineuse.
67. Lorsque tes sens frémissent et que ta pensée atteint l'immobilité, entre dans l'énergie du souffle, et, au moment où tu sens un fourmillement, connais la joie suprême.
68. Lorsque tu pratiques le rituel sexuel, que la pensée réside dans le frémissement des sens comme le vent dans les feuilles, accède alors à la félicité spatiale de l'extase amoureuse.
69. Au début de l'union, sois dans le feu des énergies libérées par la jouissance intime; fonds- toi dans la divine Shakti et continue de brûler dans l'espace sans connaître les cendres à la fin. Ces délices sont en réalité ceux du Soi.
70. Ô Déesse! La jouissance de la félicité intime née de l'union peut se reproduire à tout moment par la présence lumineuse de l'esprit qui se remémore intensément cette jouissance.
71. Lorsque tu retrouves un être aimé, sois totalement dans cette félicité et pénètre cet espace lumineux.
72. Lors de l'euphorie et de l'expansion causée par les mets et les boissons délicats, sois tout entier dans cette délectation et, à travers elle, goûte à la suprême félicité.
73. Fonds-toi dans la joie éprouvée lors de la jouissance musicale ou dans celle qui ravit les autres sens. Si tu n'es plus que cette joie, tu accèdes au divin.
74. Là où tu trouves satisfaction, l'essence de la félicité suprême te sera révélée si tu demeures en ce lieu sans fluctuation mentale.
75. Au moment de t'endormir, lorsque le sommeil n'est pas encore venu et que l'état de veille disparaît, à cet instant précis, connais la suprême Déesse.
76. En été, lorsque ton regard se dissout dans le ciel, clair à l'infini, pénètre dans cette clarté qui est l'essence de ton propre esprit.
77. L'entrée dans la spatialité de ton propre esprit se produit au moment où l'intuition se libère par la fixité du regard, la succion ininterrompue de l'amour, les sentiments violents, l'agonie ou la mort.
78. Assis confortablement pieds et mains dans le vide, accède à l'espace de la plénitude ineffable.
79. Dans une position confortable, les mains ouvertes à la hauteur des épaules, une zone de spatialité lumineuse se diffuse graduellement entre tes aisselles, elle ravit le cœur et cause une paix profonde.
80. En fixant le regard sans cligner sur un galet, un morceau de bois, ou tout autre objet ordinaire, la pensée perd tout support et accède rapidement à Shiva/Shakti.
81. La bouche ouverte, place ton esprit dans ta langue au centre de la cavité buccale, avec l'expiration émet le son HA et connais la présence paisible au monde.
82. Lorsque tu es allongé, vois ton corps comme privé de support. Laisse ta pensée se dissoudre dans l'espace, alors le contenu de la conscience de tréfonds se dissoudra lui aussi, et tu connaîtras la pure présence, libérée du rêve.
83. Ô Déesse, jouis de l'extrême lenteur des mouvements de ton corps, d'une monture, d'un véhicule, et, I'esprit paisible, coule-toi dans l'esprit divin.
84. Le regard ouvert sur un ciel très pur, sans cligner, la tension se dissout avec le regard, et là, tu atteins la merveilleuse stabilité Bhaïravienne.
85. Pénètre dans la spatialité lumineuse de Bhaïrava disséminée dans ta propre tête, sors de l'espace et du temps, sois Bhaïrava.
86. Quand tu accèdes à Bhaïrava en dissolvant la dualité à l'état de veille, que cette présence spatiale continue dans le rêve, et que tu traverses ensuite la nuit du sommeil profond comme la forme même de Bhaïrava, connais l'infinie splendeur de la conscience éveillée.
87. Pendant une nuit noire et sans lune, les yeux ouverts sur les ténèbres, laisse ton être tout entier se fondre dans cette obscurité et accède à la forme de Bhaïrava.
88. Les yeux clos dissous-toi dans l'obscurité, puis, ouvre les yeux et identifie-toi à la forme terrible de Bhaïrava
89. Lorsqu’un obstacle s'oppose à la satisfaction d'un sens, saisis cet instant de vacuité spatiale qui est l'essence de la méditation.
90. Prononce de tout ton être un mot finissant par le son "AH" et dans le "H" laisse-toi emporter par le flot de sagesse qui surgit.
91. Lorsqu’on fixe son esprit libéré de toute structure sur le son final d'une lettre, l'immensité se révèle.
92. Marchant, dormant, rêvant, la conscience ayant abandonné tout support, connais-toi-en tant que présence lumineuse et spatiale.
93. Pique un endroit de ton corps et, par ce point unique, accède au domaine lumineux de Bhaïrava.
94. Lorsque par la contemplation se révèle la vacuité de l'ego, de l'intellect agissant et de l'esprit, toute forme devient un espace illimité et la racine même de la dualité se dissout.
95. L'illusion perturbe, les cinq cuirasses obstruent la vision, les séparations imposées par la pensée dualisante sont artificielles.
96. Lorsque tu prends conscience d'un désir, considère-le le temps d'un claquement de doigt, puis soudain abandonne-le. Alors il retourne à l'espace duquel il vient de surgir.
97. Avant de désirer, avant de savoir :"Qui suis-je, où suis-je ?", telle est la vraie nature du "Je". Telle est la spatialité profonde de la réalité.
98. Lorsque désir et savoir se sont manifestés, oublie l'objet de ce désir ou de ce savoir et fixe ton esprit sur le désir et le savoir libérés de tout objet comme étant le Soi. Alors tu atteindras la réalité profonde.
99. Toute connaissance particulière est de nature fallacieuse. Lorsque se manifeste la soif de connaître, réalise immédiatement la spatialité de la connaissance elle-même et sois Shiva/Shakti.
100. La conscience est partout, il n'y a aucune différenciation, réalise cela profondément et triomphe ainsi du temps.
101. En état de désir extrême, de colère, d'avidité, d'égarement, d'orgueil ou d'envie, pénètre dans ton propre cœur et découvre l'apaisement sous-jacent à ces états.
102. Si tu perçois l'univers tout entier comme une fantasmagorie, une joie ineffable surgira en toi.
103. Ô Bhaïravi! ne réside ni dans le plaisir ni dans la souffrance, mais sois constamment dans la réalité ineffable et spatiale qui les relie.
104. Lorsque tu réalises que tu es en toute chose, l'attachement au corps se dissout, la joie et la félicité se lèvent.
105. Le désir existe en toi comme en toute chose. Réalise qu'i1 se trouve aussi dans les objets et dans tout ce que l'esprit peut saisir. Alors découvrant l'universalité du désir, pénètre son espace lumineux.
106. Tout être vivant perçoit sujet et objet, mais le tântrika réside dans leur union.
107. Ressens la conscience de chaque être comme ta propre conscience.
108. Libère l'esprit de tout support et accède à la non-dualité. Alors, Femme aux yeux de gazelle, le soi limité devient le Soi absolu.
109. Shiva est omniprésent, omnipotent et omniscient. Puisque tu as les attributs de Shiva, tu es semblable à lui. Reconnais le divin en toi.
110. Les vagues naissent de l'océan et s'y perdent , les flammes montent puis s'éteignent, le soleil surgit puis disparaît. Ainsi tout trouve sa source dans la spatialité de l'esprit et y retourne.
111. Erre ou danse jusqu'à l'épuisement, dans une totale spontanéité. Puis, brusquement, laisse-toi tomber sur le sol et, dans cette chute, sois entière. Alors se révèle l'essence absolue.
112. Suppose que tu es graduellement privée d'énergie et de connaissance, à l'instant de cette dissolution, ton être véritable te sera révélé.
113. Ô Déesse, écoute l'ultime enseignement mystique: il suffit de fixer son regard sur l'espace, sans cligner, pour accéder à la spatialité de ton propre esprit.
114. Arrête la perception du son en te bouchant les oreilles. En contractant l'anus, entre en résonance et touche ce qui n'est soumis ni à l'espace ni au temps.
115. Au bord d'un puits, sonde, immobile, sa profondeur jusqu'à l'émerveillement et fonds-toi dans l'espace.
116. Lorsque ton esprit vagabonde extérieurement ou intérieurement, c'est là précisément que se trouve l'état shivaïte. Où donc la pensée pourrait-elle se réfugier pour ne plus savourer cet état ?
117. L'esprit est en toi et tout autour de toi. Lorsque tout est pure conscience spatiale, accède à l'essence de la plénitude.
118. Dans la stupeur ou l'anxiété, à travers l'expérience des sentiments extrêmes, quand tu surplombe un précipice, que tu fuis le combat, que tu connais la faim ou la terreur, ou même lorsque tu éternues, l'essence de la spatialité de ton propre esprit peut être saisie.
119. Lorsque la vue d'un certain lieu fait émerger des souvenirs, laisse ta pensée revivre ces instants, puis, lorsque les souvenirs s'épuisent, un pas plus loin, connais l'omniprésence.
120. Regarde un objet, puis, lentement, retire ton regard. Ensuite, retire ta pensée et deviens le réceptacle de la plénitude ineffable.
121. L'intuition qui émerge de l'intensité de l'adoration passionnée s'écoule dans l'espace, libère et fait accéder au domaine de Shiva/Shakti.
122. L'attention fixée sur un seul objet, on pénètre tout objet. Qu'on se relâche alors dans la plénitude spatiale de son propre Soi.
123. La pureté exaltée par les religieux ignorants semble impure au tântrika. Affranchis-toi de la pensée dualisante, et ne reconnais rien comme pur ou impur.
124. Saisis que la réalité spatiale de Bhaïrava est présente en toute chose, en tout être, et sois cette réalité.
125. Le bonheur réside dans l'égalité entre les sentiments extrêmes. Réside dans ton propre cœur et accède à la plénitude.
126. Libère-toi de la haine comme de l'attachement. Alors ne connaissant ni répulsion ni lien, glisse-toi dans le divin en ton propre cœur.
127. Toi, au cœur ouvert et doux, médite sur ce qui ne peut être connu, sur ce qui ne peut être saisi. Toute la dualité étant hors d'atteinte, où donc la conscience pourrait-elle se fixer pour échapper à l'extase ?
128. Contemple l'espace vide, accède à la non-perception, à la non-distinction, l'insaisissable, par-delà l'être et le non-être: Touche au non-espace.
129. Lorsque la pensée se dirige vers un objet, utilise cette énergie. Dépasse l'objet, et là, fixe la pensée sur cet espace vide et lumineux.
130. Bhaïrava est un avec ta conscience lumineuse, en chantant le nom de Bhaïrava, tu deviens Shiva.
131. Lorsque tu affirmes :"j'existe", "je pense ceci ou cela", "telle chose m'appartient", accède à ce qui n'a pas de fondement et, au-delà de telles affirmations, connais l'illimité et trouve la paix.
132. "Éternelle, omnisciente, sans support, Déesse de tout le manifesté..." Sois celle-là et accède à Shiva/Shakti.
133. Ce que tu appelles l'univers est une illusion, une apparition magique. Pour être heureux, considère-le tel quel.
134. Sans la pensée dualisante, par quoi la conscience pourrait-elle être limitée ?
135. En réalité, lien et libération n'existent que pour ceux qui sont terrifiés par le monde et méconnaissent leur nature fondamentale. L'univers se reflète en l'esprit comme le soleil sur les eaux.
136. A l'instant où ton attention s'éveille par l'intermédiaire des organes des sens, pénètre dans la spatialité de ton propre cœur
137. Lorsque connaissance et connu sont d'une essence unique, le Soi resplendit.
138. Ô, bien-aimée, lorsque l'esprit, l'intellect, l'énergie et le soi limité disparaissent, alors surgit le merveilleux Bhaïrava!
139. Ô Déesse, je viens de t'exposer cent douze dhâranâ. Celui qui les connait échappe à la pensée dualisante et atteint la connaissance parfaite.
140. Celui qui réalise une seule de ces dhâranâ devient Bhaïrava en personne. Sa parole s'accomplit dans l'acte et il obtient le pouvoir de transmettre ou non la Shakti.
141-144. Ô Déesse, l'être qui maîtrise une seule de ces pratiques se libère de la vieillesse et de la mort, il acquiert les pouvoirs supranormaux, les yogini et les yogi le chérissent et il préside à leurs réunions secrètes. Libéré au sein même de l'activité et de la réalité, il est libre.
La Déesse dit:
Ô Seigneur, qu'on suive cette réalité merveilleuse qui est la nature de la Shakti suprême! Qui donc est adoré? Qui est l'adorateur? Qui entre en contemplation? Qui est contemplé? Qui reçois l'oblation et qui en fait l'offrande? A qui sacrifie-t-on et quel est le sacrifice?
Ô Femme aux yeux de gazelle, toutes ces pratiques sont celles de la voie extérieure et correspondent aux aspirations grossières.
145. Seule cette contemplation de la plus haute réalité est la pratique du tantrikâ. Ce qui résonne spontanément en soi est la formule mystique.
146. Un esprit stable et dépourvu de caractéristiques, voilà la vraie contemplation. Les visualisations imagées des divinités ne sont que des artifices
147. L'adoration ne consiste pas en offrandes mais en la réalisation que le cœur est la suprême conscience dégagée de la pensée dualisante. Dans la parfaite ardeur, Shiva/Shakti se dissolvent dans le Soi.
148. Si l'on pénètre un seul des yoga décrits ici, on connaîtra une plénitude s'étendant de jour en jour jusqu'à la plus haute perfection.
149. Lorsqu'on jette dans le feu de la suprême réalité, les cinq éléments, les sens et leursobjets, l'esprit dualisant et la vacuité même, alors il y a réelle offrande aux Dieux.
150-151. Ô Déesse suprême, ici, le sacrifice n'est rien d'autre que la satisfaction spirituelle caractérisée par la félicité. Le vrai lieu de pèlerinage, O Pârvati, est l'absorption en la Shakti qui détruit toute souillure et protège tous les êtres. Comment pourrait-il y avoir d'autre adoration et qui donc la recevrait?
152. L'essence du Soi est universelle. Elle est autonomie, félicité et conscience. L'absorption
dans cette essence est le bain rituel.
153. Les offrandes, l'adorateur, la suprême Shakti ne sont qu'un. Ceci est l'adoration profonde.
154. Le souffle sort, le souffle entre, de lui-même sinueux. Parfaitement accordée au souffle, Kundalini, la Grande Déesse, se dresse. Transcendante et immanente, elle est le plus haut lieu de pèlerinage.
155. Ainsi, profondément établi dans le rite de la grande félicité, pleinement présent à la montée de l'énergie divine, grâce à la Déesse, le yogi atteindra le suprême Bhaïrava.
155 bis 156. L'air est exhalé avec le son SA puis inhalé avec le son HAM. Alors la récitation du mantra HAMSA est continue. La respiration est le mantra, répété vingt et un mille fois, nuit et jour, c'est le mantra de la suprême Déesse.
157-160. Ô Déesse, je viens de t'exposer les enseignements mystiques ultimes que rien ne surpasse. Qu'ils ne soient transmis qu'aux êtres généreux, à ceux qui vénèrent la lignée des Maîtres, aux intelligences intuitives libérées de l'oscillation cognitive et du doute et à ceux qui les mettront en pratique. Car sans pratique, la transmission se dilue, et ceux qui ont eu la merveilleuse occasion de recevoir ces enseignements retournent à la souffrance et à l'illusion alors qu'ils ont eu un trésor éternel entre les mains.
Ô Dieu, j'ai maintenant saisi le cœur des enseignements et la quintessence des tantra. Il faudra quitter cette vie mais pourquoi renoncerait on au cœur de la Shakti? Ainsi qu'on reconnaît l'espace illuminé par les rayons du soleil, ainsi reconnaît-on Shiva grâce à l'énergie de Shakti qui est l'essence du Soi.
Alors Shiva et Shakti, rayonnant de béatitude, s'unirent à nouveau dans l'indifférencié.
LE VIJNÂNA BHAIRAVA TANTRA
Traduction L. SILBURN
La Déesse dit :
Ô Dieu, tout ce qui tire son origine du Rudrayâmalatantra m’a été intégralement révélé. C’est le Trikabheda, la triple différenciation obtenue en extrayant la quintessence de la quintessence.
Et cependant, O Maître suprême ! mon doute n’est pas encore dissipé. Quelle est, O dieu, en réalité absolue, l’essence qui consiste en énergie fragmentatrice de l’ensemble des sons ? Ou encore, comment peut-elle résider sous l’aspect différencié d’une nonuplée formule dans la forme distincte de Bhairava ? Ou encore, comment est-elle différenciée en un Dieu à trois têtes ? Ou comment donc consiste t-elle en une triple énergie ? Comment à nouveau est-elle faite de nâdabindu ? Qu’est-ce que les phases subtiles de l’énergie phonématique, la demi-lune et l’obstruante ? Ou encore comment est-elle la consonne sans voyelle (anacka) qui réside sur la roue des phonèmes ? Comment donc a-t-elle pour nature propre l’Énergie ?
Ou encore comment tout est composé, soit de l’énergie transcendante-et-immanente et à la fois de l’énergie immanente seule, et encore à la fois de l’énergie purement transcendantale ? La transcendance, en vérité, ne saurait être différenciée en phonèmes et en corps, car elle ne peut se trouver en tant que nature indivise dans ce qui est composé.
O Seigneur accorde-moi ta grâce et dissipe entièrement mon doute.
Bhairava répond :
Bien ! Bien ! O Très aimée ! ta question forme la quintessence des Tantras. Ce sujet est extrêmement ésotérique, O Bienheureuse ! pourtant je te l’expliquerai, Déesse. Tout ce qu’on déclare forme composée appartenant à Bhairava doit être considéré comme une fantasmagorie, une illusion magique, un rêve, le mirage d’un château dans le ciel, du fait de son manque de substance.
Du point de vue absolu, ce bhairava n’est ni la nonuple formule, ni l’ensemble des sons. Il n’est pas non plus le Dieu à trois têtes. La triple énergie ne constitue pas son essence. Il ne consiste pas non plus en nâdabindu, ni en candrardha ni en nirodikhâ (ensemble d’énergies de plus en plus subtiles) et ne s’associe pas au cours de la Roue cosmique. L’énergie ne forme pas son essence, car ces conceptions ne sont que des épouvantails à l’usage des enfants et des hommes à la pensée non encore éveillée, elles jouent le même rôle que la douceur qui cache le médicament. Leur description n’a d’autre but que de faire progresser l’aspirant.
La félicité éprouvée comme sienne au plus profond de soi n’est pas soumise à la pensée dualisante. Elle échappe aux exigences de temps et de lieu ainsi qu’aux spécifications de l’espace. Dans l’ordre de la vérité absolue, elle ne peut être suggérée et demeure ineffable. Telle est l’expression de la plénitude, la Bhairavi, l’énergie du Soi de Bhairava. En vérité on doit discerner cette Merveille immaculée qui emplit le cosmos. A un tel degré de réalité qui donc est adoré et qui se plait à l’adoration ? Cette condition de Bhairava qu’on célèbre de la sorte est attestée comme suprême. C’est elle que sous sa forme la plus lointaine, on déclare ‘Déesse suprême’.
Puisqu’il ne peut jamais y avoir aucune distinction entre énergie et détenteur d’énergie, ni entre substance et attribut, l’énergie suprême est identique au Soi suprême. Comme on n’imagine pas d’énergie consumante distincte du feu, la distinction entre énergie et porteur d’énergie n’apparaît pas lorsqu’on s’absorbe dans la Réalité de la connaissance absolue.
Si celui qui pénètre dans l’état de l’énergie réalise qu’il n’en est pas distinct, son énergie divinisée assume l’essence de Shiva et on la nomme alors ‘ouverture’. De même que, grâce à la lumière d’une lampe ou aux rayons du soleil, on prend connaissance des diverses portions de l’espace, de même O Bien Aimée ! c’est grâce à son énergie que l’on peut connaître Shiva.
La Déesse dit :
O dieux des dieux ! Toi qui portes l’emblème du trident et as pour ornement la guirlande des crânes, dis-mois par quels moyens on peut apercevoir l’état qui a forme de plénitude propre à Bhairava, qui échappe au temps et à l’espace et défie toute description ? En quel sens dit-on la suprême Déesse est l’ouverture qui lui donne accès ? Instruis-moi O Bhairava, afin que ma connaissance devienne parfaite.
Bhairava répond :
1 Il faut exercer une poussée ascensionnelle sur la suprême Énergie formée de deux points (Visarga), que sont le souffle expiré en haut et le souffle inspiré en bas. La situation de plénitude provient de ce qu’ils sont portés ou maintenus, sur leur double lieu d’origine.
2 Si l’on s’exerce sans interruption sur le couple des espaces vides interne et externe des souffles inspirés et expirés, ainsi O Bhairavi : la merveilleuse Forme de Bhairavi et de Bhairava se révèlera.
3 L’énergie sous forme de souffle ne peut ni entrer ni sortir lorsqu’elle s’épanouit au centre en tant que libre de dualité, par son entremise on recouvre l’essence absolue.
4 Qu’on pratique la rétention du souffle lorsqu’on expire ou encore lorsqu’on inspire. A la fin de cet exercice, on nommera cette énergie du souffle retenu, ‘apaisée’ et grâce à cette énergie se révèle l’essence apaisée.
5 Qu’on se concentre sur cette énergie du souffle resplendissante de rayons de lumière et dont l’essence est subtile entre les choses subtiles, quand elle s’élève de la base jusqu’à ce qu’elle s’apaise au centre supérieur. Voilà l’Éveil de Bhairava.
6 De centre en centre, de proche en proche, l’énergie vitale, tel un éclair jaillit jusqu’au sommet du triple poing, tant qu’à la fin le grand Éveil se produit.
7 Les douze modalités successives correspondent exactement à la distinction en douze phonèmes. S’étant libéré graduellement des conditions matérielle, subtile, et suprême, en dernier lieu, on s’identifie à Shiva même.
8 Ayant rempli le sommet du crâne de l’énergie du souffle et projeté celle-ci rapidement à l’aide du pont établi par une contraction des sourcils, si l’on a libéré la pensée de toute dualité, grâce à cette énergie, on deviendra omnipénétrant dès qu’on accède à ce qui est au-delà de toute chose.
9 Si l’on médite sur le quintuple vide, en prenant pour support les cercles bariolés des plumes du paon, on s’abîme dans le Cœur, l’incomparable Vide.
10 Vide, mur, réceptacle suprême, quel que soit l’objet sur lequel on doit se concentrer en suivant un tel ordre, l’excellente Bienfaitrice se résorbe en elle-même.
11 Ayant fixé la pensée à l’intérieur du crâne, se tenant les yeux fermés, peu à peu, grâce à la stabilité de la pensée, qu’on discerne l’éminemment discernable.
12 Le canal médian est ce qui tient au Centre. Quand on médite sur lui sous forme de cette Déesse qui, semblable au filament d’une tige de lotus, est identique au firmament intérieur, alors le Dieu se révèle.
13 Dès que l’on a bouché les ouvertures des sens à l’aide de l’arme défensive que forment les mains les obstruant, et qu’on perce le centre entre les sourcils, le bindu une fois perçu disparaît peu à peu, alors au milieu de cette disparition, voilà le suprême séjour.
14 Si l’on médite dans le cœur et au sommet de la mèche de cheveux sur le bindu, point semblable à la marque rouge, ce feu subtil que produit une certaine effervescence, à la fin, lorsque celle-ci a disparu, on s’absorbe dans la Lumière de la Conscience.
15 Il accède au brahman suprême celui qui baigne dans le brahman-son, l’anâtha logé dans le réceptacle de l’oreille, son ininterrompu, précipité comme un fleuve.
16 Si l’on récite la syllabe sacrée AUM ou toute autre formule et qu’on éprouve le vide qui se trouve à la fin du son , au moyen de cette éminente énergie du vide, O Bhairavi, on atteint la vacuité.
17 Il faut se concentrer sur la fin ou le commencement de n’importe quel phonème. Par la puissance du vide, cet homme devenu vide prendra la forme du vide.
18 En suivant attentivement les sons prolongés d’instruments de musique, à cordes ou autres, si l’esprit ne s’intéresse à rien d’autre, à la fin de chaque son, l’on s’identifiera à la forme merveilleuse du firmament suprême.
19 Mais aussi à l’aide de la succession ordonnée de phonèmes grossiers d’une formule quelconque d’un seul bloc, sous la poussée du vide propre aux phases subtiles d’ardhendu, bindu, et nadâbindu on deviendra Shiva.
20 Qu’on évoque l’espace vide en son propre corps dans toutes les directions à la fois. Alors, pour qui jouit d’une pensée libre de dualité, tout devient espace vide.
21 On doit évoquer en même temps le vide du sommet et le vide de la base. Du fait que l’Énergie est indépendante du corps, la pensée deviendra vide.
22 Qu’on évoque de manière simultanée le vide du sommet, le vide à la base et le vide du cœur. Grâce à l’absence de toute pensée dualisante, alors se lève la Conscience non-dualisante.
23 Si l’on évoque, rien qu’un instant, l’absence de dualité en un point quelconque du corps, voilà la Vacuité même. Libéré de toute pensée dualisante, on accédera à l’essence non dualisante.
24 O Belle aux yeux de gazelle ! Qu’on évoque intensément toute la substance qui forme le corps comme pénétrée d’éther. Et cette évocation deviendra alors permanente.
25 On doit considérer la différenciation de la peau du corps comme un mur. Celui qui médite sur son corps comme s’il ne contenait rien à l’intérieur, adhère bientôt à l’au-delà du méditable.
26 O Bienheureuse ! les sens anéantis dans l’espace du cœur, l’esprit indifférent à toute autre chose, celui qui accède au milieu de la coupe bien close des lotus atteindra la faveur suprême.
27 Du fait que la pensée est absorbée dans le dvâdasantâ, chez un homme dont l’intellect est ferme et dont le corps est pénétré de toutes parts de Conscience, se présente alors à lui la caractéristique de la Réalité bien affermie.
28 Qu’on fixe sa pensée dans le centre supérieur, dvâdasantâ, de toutes manières et où qu’on se trouve. L’agitation s’étant peu à peu abolie, en quelques jours l’indescriptible se produira.
29 On doit intensément se concentrer sur sa propre forteresse comme si elle était consumée par le feu du Temps qui surgit du pied de ce Temps. Alors, à la fin, se manifeste la quiétude.
30 De même, après avoir médité en imagination sur le monde entier comme étant consumé par les flammes, l’homme dont l’esprit est indifférent à toute autre chose, accédera à la plus haute condition humaine.
31 Si l’on médite sur les catégories subtiles ainsi que sur les catégories très subtiles, incluses dans son propre corps, ou bien sur celles de l’univers comme si elles se résorbaient les unes dans les autres, finalement la suprême Déesse se révélera.
32 Si l’on médite sur l’énergie du souffle grasse et très faible dans le domaine du dvâdasantâ et qu’au moment de s’endormir, on pénètre dans son propre cœur; en méditant ainsi on obtiendra la maîtrise des rêves.
33 Il faut se concentrer par degrés sur l’univers sous forme de monde et autres cheminements, en le considérant dans ses modalités grossière, subtile et suprême, jusqu’à parvenir finalement à l’absorption de la pensée.
34 Après avoir médité sur la réalité Sivaïte selon la méthode des six cheminements, de façon exhaustive en y incluant l’univers entier, alors se produit le grand Éveil.
35 O puissante Déesse ! on doit se concentrer intensément sur tout cet univers comme s’il était vide et là même la pensée se résorbe. Alors on devient le vase d’élection de l’absorption en ce vide.
36 Qu’on fixe le regard sur un récipient, une cruche ou quelque autre objet en faisant abstraction de ses parois. Lorsqu’on parvient à s’absorber en ce vide, à cet instant précis et grâce à cette absorption, on s’identifiera à Lui.
37 Qu’on fixe le regard sur une région dépourvue d’arbres, de montagnes, de murailles ou d’autres objets. Dans l’état mental d’absorption on devient un être dont l’activité fluctuante a disparu.
38 Au moment où l’on perçoit deux choses, prenant conscience de l’intervalle entre elles, qu’on s’y installe ferme. Si l’on bannit simultanément toutes deux, alors, dans cet intervalle, la Réalité resplendit.
39 Que l’esprit qui vient quitter une chose soit bloqué et ne s’oriente pas vers une autre chose. Alors, grâce à la chose qui se trouve entre elles, la Réalisation s’épanouit dans toute son intensité.
40 En vérité, que l’on évoque parfaitement, de façon simultanée dans sa totalité, soit l’univers, soit son propre corps comme s’il était fait de conscience. Alors, à l’aide d’une pensée sans dualité, on obtiendra le suprême Éveil.
41 En pratiquant la friction des deux souffles, à l’extérieur ou à l’intérieur, le yogi deviendra à la fin le vase d’élection d’où surgit la connaissance suprême de l’Égalité.
42 Que le yogi considère soit l’univers entier soit son propre corps, simultanément dans sa totalité, comme rempli de sa propre félicité. Alors, grâce à son ambroisie intime, il s’identifiera à la suprême félicité.
43 Comme par un procédé de magie, O Belle aux yeux de gazelle ! la grande félicité se lève subitement. Grâce à elle la Réalité se manifeste.
44 Lorsqu’on fait échec au flot tout entier des activités sensorielles par le moyen de l’énergie du souffle qui s’élève, peu à peu, au moment où l’on sent un fourmillement, le suprême bonheur se propage.
45 Mais qu’on fixe la pensée qui n’est plus que plaisir dans l’intervalle de feu et de poison. Elle s’isole alors ou se remplit de souffle et l’on intègre la félicité de l’Amour.
46La jouissance de la Réalité du brahman qu’on éprouve au moment où prend fin l’absorption dans l’énergie fortement agitée par l’union avec une parèdre (shakti), c’est elle précisément qu’on nomme jouissance intime.
47 O Maîtresse des Dieux ! l’afflux de la félicité se produit même en l’absence d’une énergie (femme), si l’on se remémore intensément la jouissance née de la femme grâce à des baisers, des caresses et des étreintes.
48 Ou encore à la vue d’un parent dont on a été longtemps séparé, on accède à une félicité très grande. Ayant médité sur la félicité qui vient de surgir, on s’y absorbe, puis la pensée s’identifie à elle.
49 Grâce à l’épanouissement de la félicité qui comporte l’euphorie causée par la nourriture et la boisson, qu’on adhère de tout son être à ce état de surabondance et l’on s’identifiera alors à la grande Félicité.
50 Si un yogi se fond dans le bonheur incomparable éprouvé à jouir des chants et autres plaisirs sensibles, parce qu’il n’est plus que ce bonheur, une fois sa pensée stabilisée, il s’identifiera complètement à lui.
51 Là ou la pensée trouve satisfaction, c’est en ce lieu même, qu’il faut river cette pensée sans fléchir; c’est là, en effet, que l’essence de la suprême félicité se révèle pleinement.
52 Lorsque le sommeil n’est pas encore venu et que pourtant le monde extérieur s’est effacé, au moment où cet état devient accessible à la pensée, la Déesse suprême se révèle.
53 Le regard doit être fixé sur une portion d’espace qui apparaît tachetée sous le rayonnement du soleil, d’une lampe, etc. C’est là même que resplendit l’essence de son propre Soi.
54 La suprême fusion dans le Tout se révèle au moment de la perception intuitive de l’Univers, grâce aux attitudes suivantes : le repos de la mort, la fureur, la fixité du regard, la succion ininterrompue et la concentration sur l’éther.
55 Installé sur un siège moelleux, ne reposant que sur son séant, pieds et mains privés de support; par l’effet de cette attitude, l’intelligence intuitive la plus haute accède à la plénitude.
56 Confortablement installé sur un siège, les bras croisés ayant fixé la pensée au creux des aisselles, grâce à cette absorption on obtiendra la quiétude.
57 Ayant fixé les yeux sans cligner sur un objet à forme grossière et si l’on prive la pensée de tout support, l’on parviendra sans tarder à Shiva.
58 La bouche étant largement ouverte, la langue au centre, si l’on fixe la pensée sur ce centre en récitant mentalement le phonème Ha, l’on s’abîmera alors dans la paix.
59 Se tenant assis ou couché, un yogi, doit évoquer avec intensité son propre corps comme privé de support; dans une pensée qui s’évanouit, à l’instant même, ses prédispositions inconscientes s’évanouiront.
60 Ou encore si l’on se trouve dans un véhicule en mouvement, ou si l’on meut le corps très lentement, O Déesse ! jouissant alors d’une disposition d’esprit bien apaisée, l’on parviendra au flot divin.
61 Si contemplant un ciel très pur, on y fixe le regard sans la moindre défaillance, l’être tout entier étant immobilisé, à ce moment même O Déesse ! on atteindra la Merveille deBhairava.
62 Qu’on évoque tout l’espace-vide sous forme d’essence de Bhairava, comme dissous dans sa propre tête. Alors l’univers tout entier s’absorbera dans la Réalité de l’éclat, expression même de Bhairava.
63 Quand on connaît pleinement la forme de Bhairava dans la veille et autres états, c’est-à-dire : connaissance limitée et production de dualité quant à la veille, vision extériorisante quant au rêve et aussi ténèbres quant au sommeil profond, on est alors empli de la splendeur infinie de la Conscience. Une chose limitée étant connue, engendre la dualité. Telle est la lumière extérieure, qui équivaut aux ténèbres. D’autre part qu’on la perçoive comme pleine de la Lumière infinie de la Conscience, et l’univers entier, assumera la forme de Bhairava.
64 De même durant une nuit noire, à l’arrivée de la quinzaine sombre, ayant évoqué sans discontinuer la forme ténébreuse, on accédera à la Réalité de Bhairava.
65 De même, tenant d’abord les yeux bien fermés, une couleur sombre apparaît. Si on les ouvre, tout grands en évoquant la forme de Bahirava, on s’identifiera à elle.
66 Qu’un obstacle s’oppose à l’exercice d’un organe quelconque ou que de soi-même on y fasse obstruction, si l’on s’enfonce dans le vide sans dualité, la même le Soi resplendit.
67 Si l’on récite le phonème A sans bindu ni visarga, le Seigneur suprême, ce puissant torrent de connaissance, surgit imprévisible O Déesse !
68 Qu’on fixe l’esprit sur la fin du visarga de n’importe quelle lettre pourvu de visarga et, par l’intermédiaire d’une pensée libérée de tout fondement, on entrera en contact avec l’éternel brahman.
69 Qu’on médite sur son propre Soi en forme de firmament illimité en tous sens. Dès que la conscience se trouve privée de tout support, alors l’Énergie manifeste sa véritable essence.
70 Après avoir perforé une partie quelconque de son corps avec un instrument pointu ou autre, si l’on tient alors son esprit appliqué à cet endroit précis, la progression éclatante, vers Bhairava se produira.
71 On doit se convaincre de l’idée, que les organes, les souffles, la pensée n’existe pas en moi. Grâce à l’absence de pensée dualisante qui en résulte, on transcende à jamais tous les vikalpa. (les notions duelles)
72 L’illusion est dite ‘la perturbatrice’. La fonction de kalâ, consiste en une activité fragmentatrice et ainsi de suite pour les autres cuirasses et limitations. Considérant qu’il n’y a là qu’attribut des catégories, qu’on ne s’en sépare pas.
73 Ayant observé un désir qui surgit soudain, qu’on y mette fin brusquement. Quelle que soit la source d’où il jaillit, que là même il s’absorbe.
74 Quand ma volonté ou ma connaissance n’ont pas encore surgi, que suis-je, en vérité ? Telle est, dans l’ordre de la Réalité, la nature du Je. La pensée s’identifie à cela, puis s’absorbe en cela.
75 Mais une fois que la volonté ou la connaissance se sont produites, on doit y river la pensée au moyen de la conscience de Soi ; l’esprit étant indifférent à toute autre chose, alors jaillira l’intuition du Sens de la Réalité.
76 Toute connaissance est sans cause, sans support et fallacieuse par nature. Dans l’ordre de la Réalité absolue, cette connaissance n’appartient à personne. Quand on est ainsi totalement adonné à cette concentration. O Bien-aimée ! on devient Shiva.
77 Celui qui a pour propriété la Conscience réside dans tous les corps ; il n’y a nulle part de différenciation. Ayant alors réalisé que tout est fait de cette Conscience, il est l’homme qui a conquis le devenir.
78 Si l’on réussit à immobiliser l’intellect alors qu’on est sous l’emprise du désir, de la colère, de l’avidité, de l’égarement, de l’orgueil, de l’envie, la Réalité de ces états subsiste seule.
79 Si l’on médite sur le cosmos en le considérant comme une fantasmagorie, une peinture ou un tourbillon et qu’on arrive à le percevoir tout entier comme tel, le bonheur surgira.
80 On ne doit pas fixer la pensée dans la douleur ni la gaspiller dans le bonheur, O Bhairavi ! Veuille connaître toute chose au milieu des extrêmes. Eh quoi ! la Réalité seule subsiste.
81 Après avoir rejeté son propre corps en réalisant : « je suis partout » d’une pensée ferme et d’une vision qui n’a égard à rien d’autre, on accède au bonheur.
82 La discrimination ou le désir, ne se trouve pas seulement en moi mais apparaît aussi partout, dans les jarres et autres objets. Réalisant cela, on devient omnipénétrant.
83 La perception du sujet et de l’objet est la même chez tous les êtres nantis d’un corps. Mais ce qui caractérise les yogis c’est leur attention ininterrompue à l’union du sujet et de l’objet.
84 Que même dans le corps d’autrui on saisisse la conscience comme dans le sien propre. Se désintéressant de tout ce qui concerne son corps, en quelques jours on devient omnipénétrant.
85 Ayant libéré l’esprit de tout support, qu’on cesse de penser selon une pensée dualisante. Alors, O femme aux yeux de gazelle ! l’état de Bhairava réside dans le fait que le Soi devient le Soi absolu.
86 Quand on se renforce dans la réalisation suivante : ‘Je possède les attributs de Shiva, je suis omniscient, tout-puissant et omnipénétrant ; je suis le Maître suprême et nul autre, on devient Shiva.
87 Comme les vagues surgissent de l’eau, les flammes du feu, les rayons du soleil, ainsi ces fluctuations de l’univers se sont différenciées à partir de moi, le Bhairava.
88 Lorsque, physiquement égaré, on a tourné de tous côtés et en tout hâte au point de tomber à terre d’épuisement; grâce à l’arrêt de l’effervescence produite par l’envahissement de l’énergie, la condition suprême apparaît
89 Si l’on est privé de force ou de connaissance à l’égard des choses ou encore si la pensée se dissout dans l’extase, dès que prend fin l’effervescence produite par l’envahissement de l’énergie, la forme merveilleuse de Bhairava se révèle.
90 Écoute, O Déesse ! Je vais t’exposer tout entier cet enseignement traditionnel et mystique : il suffit que les yeux fixent sans cligner pour que ce produise aussitôt l’isolement.
91 S’étant bouché les oreilles ainsi que l’ouverture inférieure (anus), puis méditant sur la résonance sans consonne ni voyelle, qu’on entre dans l’éternel Brahman.
92 Se tenant au -dessus d’un puits très profond, les yeux fixés sur le fond sans cligner, dès que l’intelligence intuitive du yogi est exempte de dualité conceptuelle, aussitôt la dissolution de la pensée se produira clairement en lui.
93 Partout où va la pensée, vers l’extérieur ou encore vers l’intérieur, O Bien-aimée ! là se trouve l’état shivaïte ; celui-ci étant omnipénétrant, où donc la pensée pourrait-elle aller pour lui échapper.
94 Chaque fois que par l’intermédiaire des organes sensoriels, la conscience de l’omniprésent se révèle, puisqu’elle a pour nature fondamentale de n’être que cela, à savoir pure conscience, grâce à l’absorption dans la Conscience absolue, on accède à l’essence de la plénitude.
95 Au commencement et à la fin de l’éternuement, dans la terreur et l’anxiété ou quand on surplombe un précipice, lorsqu’on fuit le champ de bataille, au moment où l’on ressent une vive curiosité, au stade initial ou final de la faim, etc … la condition faite d’existence brahmique se révèle.
96 A la vue d’un certain lieu, qu’on laisse aller sa pensée vers des objets dont on se souvient. Dès qu’on prive son corps de tout support, le Souverain omniprésent s’avance.
97 Après avoir posé le regard sur un objet quelconque, qu’on l’en retire très lentement. Alors la connaissance de cet objet n’est accompagnée que de pensée, O Déesse, et l’on devient le réceptacle du vide.
98 Cette sorte d’intuition qui, grâce à l’intensité de l’adoration, naît chez l’homme parvenu au parfait détachement, c’est l’énergie même du Bienfaisant. Qu’on l’évoque perpétuellement et l’on s’identifiera à Shiva.
99 Alors qu’on perçoit un objet déterminé, la vacuité s’établit peu à peu à l’égard des autres objets. Ayant médité en pensée sur cette vacuité même, bien que l’objet reste connu, on s’apaise.
100 Cette pureté qu’enseignent les gens de peu de savoir, apparaît dans la doctrine de Shiva comme une véritable impureté. Il ne faut pas la considérer comme pure, en vérité, mais comme polluée. C’est pourquoi s’affranchissant de pensée dualisante, qu’on parvienne au bonheur.
101 La réalité de Bhairava a partout son domaine y compris chez les gens du commun. Et l’homme qui prend conscience de ceci : « rien n’existe qui en soit distinct », accède à la condition Sans-second.
102 Étant le même à l’égard d’amis et d’ennemis, le même dans l’honneur et le déshonneur ; grâce à la parfaite plénitude du brahman, ayant compris cela, qu’on soit heureux.
103 L’inconnaissable, l’insaisissable, le vide et ce qui n’accédera jamais à l’existence, imaginez tout cela comme Bhairava et à la fin de cette évocation, l’illumination se produit.
104 Ayant fixé la pensée sur l’espace externe qui est éternel, sans support, vide, omnipénétrant et dépourvu d’opération, qu’on se fonde alors dans le non-espace.
105 Quel que soit l’objet vers lequel la pensée se dirige, il faut à cet instant précis et à l’aide de cette pensée quitter l’objet complètement sans laisser un autre s’installer à la place. Alors on sera exempt de fluctuation.
106Ainsi par la récitation ininterrompue du mot Bhairava, on devient Shiva.
107 A l’occasion d’affirmations comme ‘je suis, ceci est à moi’, etc., la pensée accède à ce qui n’a pas de fondement. Sous l’aiguillon d’une telle méditation, on s’apaise.
108 Éternel, omniprésent, sans support, omnipénétrant, souverain de tout ce qui est. Méditant à chaque instant sur ces mots, on en réalise la signification conformément à l’objet signifié (Shiva).
109 Tout cet univers est privé de réalité à l’image d’un spectacle fictif. Quelle est la réalité d’un tel spectacle ? Si l’on est fermement convaincu de cette vérité, on acquiert la paix.
110 Comment y aurait-il connaissance ou activité pour un Soi affranchi de toute modalité ? Les objets externes dépendent de la connaissance et partant de là, ce monde est vide.
112 Il n’existe plus pour moi de lieu, il n’y a plus pour moi de libération. Lien et libération ne sont que deux épouvantails à l’usage d’un être terrifié. Cet univers apparaît comme un reflet dans l’intellect à l’image du soleil sur l’eau.
Toute impression comme le plaisir, la douleur, etc .. nous parvient par l’intermédiaire des organes sensoriels. S’étant détaché de ces organes, on prend assise en soi-même, puis on demeure à jamais dans son propre Soi.
Toute chose se manifeste par la Connaissance et le Soi se manifeste par toute chose. En raison de leur essence unique, connaissance et connu se révèlent comme ne faisant qu’un.
Faculté mentale, conscience intériorisée, énergie du souffle, et soi limité aussi ; quand ce quatuor a complètement disparu. O Bien-aimée ! alors la forme merveilleuse de ce Bhairava subsiste seule.
Ainsi 112 instructions concernant le sans-houle viennent d’être brièvement exposées. O Déesse ! l’homme qui les connaît reçoit le nom de ‘familier de la connaissance’. Quiconque s’adonne à une seule de ces instructions ici décrites devient lui-même Bhairava en personne. Ses paroles se réalisent en actes et il confère bénédictions et malédictions.
O Déesse ! il ne vieillit pas, il ne meurt pas; il est doué d’attributs supranaturels comme les pouvoirs d’exiguïté et autres. Choyé des yoginis, il agit en maître au cours de toutes leurs réunions. Il est libéré bien qu’il demeure encore en cette vie et bien qu’il s’adonne à des activités ordinaires.
La déesse dit :
O Seigneur tout-puissant, si telle est la forme merveilleuse de la suprême énergie et qu’on la prenne comme règle générale, O Dieu ! qui récite et quelle est la récitation ? Qui médite, O grand Maître ! qui adore et qui tire satisfaction de l’adoration ? Qui offre l’oblation et quel est le sacrifice, qui le fait et comment et pour qui ?
Bhairava répond :
O femme aux yeux de gazelle ! cette pratique ici mentionnée est extérieure et ne relève que des seules modalités grossières. En vérité cette Réalisation qu’on expérimente encore et encore à l’intérieur de la suprême réalité, voilà ce qu’est ici la véritable récitation. De même, on doit considérer ce qui est récité comme une résonance spontanée consistant en une formule mystique.
Un intellect inébranlable, sans aspects ni fondements, voici, en vérité ce que nous appelons méditation. Mais la représentation imagée de divinités nanties de corps, organes, visages, mains, etc. n’offre rien de commun avec la vraie méditation.
L’adoration véritable ne consiste pas en une offrande de fleurs et autres dons, mais en une intelligence intuitive bien établie dans le suprême firmament de la Conscience, exempt de pensée dualisante. En vérité, cette adoration se confond avec l’absorption en Shiva issue de l’ardeur mystique.
Le Soi, en vérité a pour moelle autonomie, félicité et Conscience. Si l’on plonge intégralement son propre soi dans cette essence, c’est là ce qu’on appelle le ‘bain rituel’.
Le transcendant et l’immanent que l’on honore précisément avec des offrandes et qui en tirent satisfaction ; celui aussi qui les offre; tous ne forment qu’un. Où est l’adoration véritable, sinon là ?
Que le souffle exhalé sorte et que le souffle inhalé entre, de leur propre accord. La Kundalini dont l’aspect est sinueux retrouve son essence dressée. C’est la grande Déesse immanente et transcendante, le suprême Sanctuaire.
Lorsqu’on prend de fermes assises dans le rite de la grande félicité et qu’on suit attentivement la montée de cette énergie, grâce à cette Déesse, étant bien absorbé en elle, on atteindra le suprême Bhairava.
En émettant le phonème SA, il se dirige vers l’extérieur par le souffle, en énonçant le phonème HA, il entre à nouveau. C’est ainsi que l’individu répète inlassablement cette formule hamsa, hamsa. 21 600 fois jour et nuit, cette récitation est prescrite comme celle de la suprême Déesse. Très facile à accomplir, elle n’apparaît difficile qu’aux ignorants.
O Déesse ! je viens ainsi de t’exposer cette suprême ambroisie que rien ne surpasse, mais qu’il ne faut jamais révéler à quiconque est disciple d’un autre ordre, est un méchant, un cruel, ou manque de dévotion envers le Maître spirituel. Par contre, qu’on la dévoile, aux intelligences intuitives que n’effleure jamais aucun doute, aux héros, aux magnanimes, à tous ceux qui vénèrent la lignée des Maîtres. A tous ceux-là, qu’on dispense sans hésiter. O belle aux yeux de gazelle ! village, royaume, ville, pays, fils, parent, tout ce dont on peut s’emparer, il faudra l’abandonner complètement ! A quoi bon ces choses évanescentes, O Déesse, seul ce suprême trésor est permanent !
O Dieu des dieux, grand Dieu ! me voici parfaitement satisfaite, O Seigneur ! Maintenant j’ai reconnu avec certitude la quintessence du Rudrayâmalatantra et maintenant aussi j’ai perçu intuitivement le Cœur de toutes les énergies différenciées.
Après avoir proféré ces paroles, la Déesse, pleine de béatitude, tenant Shiva embrassé, s’identifia à Lui.
LES SHIVA SUTRAS
Il y a trois théories concernant la révélation du Siva-Sutra à VasuGupta.
-
Kallata dans le Spanda-Vritti dit que Shiva a enseigné le Siva-Sutra dans un rêve à Vasugupta qui vivait dans la montagne Mahadeva dans la vallée du ruisseau Harvan derrière le jardin Shalimar près de Shrinagara.
-
Bhaskara dit dans son Varttika qu'ils ont été révélés à Vasugupta dans un rêve par un Siddha
-
Ksemraja, dans son commentaire Vimarsini , soutient que Siva est apparu à Vasugupta dans un rêve et a dit:
"Sur la montagne de Mahavadeva, les doctrines secrètes sont inscrites sur un morceau de pierre. Collecter les doctrines à partir de là, les enseigner à ceux qui méritent la grâce."
Au réveil, Vasugupta est allé à l'endroit et par un simple toucher, la pierre particulière est apparue et il a trouvé les Sihva-Sutras inscrit dessus.
Shiva Rock (Shankaropal), où il y a quinze cents ans, les Shiva Sutras ont été révélés au Sage Vasugupta : le rocher est là, mais il n’y a aucune trace des Sutras.
« Les Sivasutra appartiennent à l’école du Spanda, fondée par Vasugupta; ils en constituent la pierre angulaire. L’originalité de cette école tient au spanda; Vasugupta fut en effet le premier à nommer spanda la libre puissance qui éclaire, donne vie et mouvement à tout ce qui existe. Le spandatattva, Réalité ultime en tant que vibration est la Conscience universelle : une Conscience à la fois en acte et en repos, un repos que jamais elle ne quitte, un acte qui jamais ne défaille et qui, en outre, s’épanouit.
LES SHIVAS SUTRAS
Traduction de Didier Jorand
LIVRE 1 : LA VOIE DE SHIVA
I.1 – Chaitanyam atma
La connaissance limitée est le lien.
I.3 – Yonivargah Kalashariram
La source de l’illusion et le corps de l’activité fragmentatrice « forment le lien ».
I.4 – Jnanadhisthanam matrika
C’est la mère, ou le pouvoir contenu dans les lettres de l’alphabet (de A à Ksha) qui est la racine de la connaissance limitée.
I.5 – Udyamo bhairava
La pure élévation est Bhairava (l’Absolu).
I.6 – Shaktichakrasamdhane vishvasamharah
En se recueillant profondément sur la roue des énergies (qui sous-tend la totalité des énergies), il y a disparition de l’univers (comme quelque chose de séparée de la conscience).
I.7 – Jagratsvapnashushuptabhede turiyabhogasambhavah
On peut expérimenter la béatitude de Turiya (le 4ème état) dans les trois autres : veille, rêve et sommeil profond.
I.8.9 et 10 – Jnanam jagrat svapno vikalpah aviveko mayasaushuptam
L’état de veille est caractérisé par la connaissance, l’état de rêve en pensées dualisantes et l’état de sommeil profond avec l’illusion ou absence de discrimination.
I.11 – Tritaya bhokta vieshah
C’est Shiva (le Seigneur suprême) qui jouit des trois états de veille, rêve et sommeil profond, qui est le Maître (le Souverain des héros) des sens.
I.12 – Vismayo yogabhimikah
Les étapes du Yoga sont remplies d’émerveillement.
I.13 – Icchashaktir Uma kumari
Le pouvoir du Je (la volonté de Shiva) est Uma la vierge.
I.14 – Drshyam shariram
Le perceptible (tout ce qui existe) est le corps (du Soi).
I.15 – Hrdaye cittasamgattad drshyasvapadadarshanam
En faisant fusionner le milieu mental dans la lumière de la pure conscience, tout ce qui est perceptible et le vide sont vus (à la lumière de la conscience).
I.16 – Shuddhatattvasamdhanat va’pashushakti
En s’absorbant (recueillement parfait) dans le pur élément (le Yogin) obtient l’énergie illimitée (Chiti).
I.17 – Vitarka atmajnanam
Son discernement est connaissance du Soi…
I.18 – Lokanandah samadhisukham
Le délice du samadhi (pour un tel Yogin) est la béatitude du monde.
I.19 – Shaktisamdhane shariropattih
Par l’absorption dans Iccha Shakti (le Yogin acquiert) la possibilité de créer des corps.
I.20 – Bhutasamdhanabhutaprthaktva ishvasamgattah
(Il y a aussi la possibilité) d’unir les éléments, de les séparer et de les unir (fusion) au tout.
I.21 – Shuddhavidyodayac cakreshatva siddhi
Par la révélation de la pure connaissance (le Yogin) acquiert la maîtrise sur les pouvoirs cosmiques (la roue des énergies).
I.22 – Mahahranusamdhanam mantraviryanubhavah
Par l’absorption dans le grand lac, (le Yogin) obtient l’expérience de l’efficience des mantras.
LIVRE 2 : LA VOIE DE L’ÉNERGIE
II.1 – Cittam mantrah
L’esprit n’est pas distinct du verbe sacré.
II.2 – Prayatnah sadhakah
L’acte zélé et spontané est la pratique (efficace dans ce cas-là).
II.3 – Vidyaasharirasatta mantrarahasyam
Le secret du verbe divin, c’est l’existence (en soi) d’un corps de (pure) science.
II.4 – Garbhe cittavisako’vishishtavidiasvapnah
L’épanouissement de l’esprit dans Maya (se limite) en une connaissance illusoire (semblable à un rêve).
II.5 – Vidyasamutthane svabhavike khecari shivavastha
A l’émergence (spontanée) de la connaissance suprême (absorbe-toi dans l’énergie) qui vogue dans l’espace infini de la conscience : l’état de Shiva.
II.6 – Gurur upayah
Le Maître réel est la Voie.
II.7 – Matrkacakrasambodhah
(Un tel Guru permet) l’absorption profonde dans la roue des phonèmes.
II.8 – Shariram havih
Son corps devient l’oblation.
II.9 – Jnanam annam
La connaissance est la nourriture (qu’il dévore).
II.10 – Vidyasamhare tadutthasvapnadarshanam
A la résorption de la pure science (le Yogin) perçoit à nouveau ses constructions mentales (état qui correspond au rêve).
LIVRE 3 : LA VOIE DE L’INDIVIDU
III.1 – Atma cittam
Le soi individuel est l’esprit.
III.2 – Jnanam bandhah
La connaissance limitée est le lien.
III.3 – Kaladinam tattvanam aviveko maya
La non connaissance des éléments tels que les énergies limitées sont l’illusion.
III.4 – Sharire samhara kalanam
(Le Yogin doit opérer) la résorption des différentes parties des tattvas dans le corps.
III.5 – Nadisamharabhuta jayabhutakaivalya bhutaprthaktvani
Résorption des canaux, contrôle des éléments, isoler les éléments de la conscience et séparation des éléments.
III.6 – Mohavaranat siddhih
Les pouvoirs (supernormaux) sont dus au voile de l’illusion.
III.7 – Mohajayad anantabhogat sahajavidyajayah
Par la victoire sur cette illusion qui s’étend à l’infini (il acquiert) la conquête de la connaissance innée.
III.8 – Jagrad dvitiyakarah
(Pour celui qui reste) vigilant (à cette connaissance innée), le monde (apparaît comme son) rayon.
III.9 – Nartaka atma
Le Soi est un acteur.
III.10 – Rango’ntaratma
Le Soi intérieur est la scène.
III.11 – Preksakanindriyani
Les sens (du Yogin) sont les spectateurs.
III.12 – Divashat sattva siddhi
(Grâce à la plus haute forme) d’intelligence spirituelle (le Yogin atteint à la réalisation) de la lumière du Soi.
III.13 – Siddhih svatantrabhavah
La liberté est atteinte.
III.14 – Yatha tatra tatha anyatra
Tel il est dans son corps, ainsi peut-il être partout.
III.15 – Bija vadhanam
L’attention sur la graine.
III.16 – Asanasthah sukham hrade nimajjati
Installé dans le Soi, il plonge aisément dans l’océan (d’Amour).
III.17 – Svamatranirmanam apadayati
Il réalise une création faite d’une parcelle de soi.
III.18 – Vidya’vinashe janmavinashah
Aussi longtemps que la science innée ne disparaît pas, aucune naissance ne devient possible.
III.19 – Kavargadishu maheshavaryadyah pashumatarah
La grande Mère et ses autres énergies (qui prennent appui) sur le groupe des lettres gutturales (Ka) et autres sont les mères des êtres asservis (conditionnés).
III.20 – Trishu caturtham tailavad asecyam
Le Quatrième doit être répandu comme de l’huile sur les trois autres.
III.21 – Magnah svacittena pravishet
Absorbé (dans le Soi) qu’il pénètre (dans les trois autres états) à (l’aide) de sa propre conscience.
III.22 – Pranasamacare samadarshanam
Quand l’énergie vitale est équilibrée, il y a l’état d’unité.
III.23 – Madye’varaprasavah
Au stade intermédiaire surviens l’état inférieur du mental.
III.24 – Mareasvapratyayasandhane nastasya punar atthanam
(Mais que le Yogin) s’absorbe dans le pur Je en l’unissant aux objets, alors ressurgit (ce qui était) perdu.
III.25 – Shivatulyo jayate
Il devient l’égal de Shiva.
III.26 – Shariravrttir vratam
Les fonctions du corps (forment) son observance (religieuse).
III.27 – Katha japah
Sa conversation est la récitation (du mantra).
III.28 – Danam atmajnanam
Il dispense alors la Connaissance du Soi autour de lui.
III.29 – Yo’vipastho jahetush ca
Il indique avec sûreté la source de la Connaissance, car il est établi dans la roue des énergies (Shakti-Chakrat).
III.30 – Svashaktipracayo’sya vishvam
L’Univers est l’expansion de son énergie.
III.31 – Sthitilayau
Il y a chez lui maintien et retour à son point initial (de l’Univers).
III.32 – Tat pravrtav apy anirasah samvettrbhavat
Malgré cela (ces différents états), le Guru ne s’éloigne pas de son état d’être conscient.
III.33 – Sukhaduhkhayor bahir mananam
(Un tel Yogin) considère la douleur et le plaisir extérieur à lui.
III.34 – Tadvimuktas tu kevali
Parce qu’il est libéré (du plaisir et de la peine), on le dit isolé.
III.35 – Mohapratisamhatas tu karmatva
Mais pour celui qui est enfermé dans l’illusion (sa vie est conditionnée) par les actes karmiques.
III.36 – Bhedatiraskare sargantarakarmatvam
Quand la différence disparaît, (le Yogin) effectue une toute autre créativité (dans la vie).
III.37 – Karanashakti svato’nubhavat
(Il acquiert) le pouvoir de créer grâce à sa propre expérience.
III.38 – Tripadaty anuprananam
L’état principal (Turiya) anime les trois autres états.
III.39 – Cittasthitivac charira karana bahyesu
Tout comme il laisse pénétrer sa conscience vibrante dans l’état mental, il l’a laissé pénétrer dans le corps, les sens et à l’extérieur.
III.40 – Abhilasad bahirgatih samvahyasya
En fonction de ses désirs (conditionnements) allant à l’extérieur (excentré), il est entraîné (d’une existence à une autre).
III.41 – Tadarudhapramites tatksayaj jivasamksayad
Pour celui qui est pleinement absorbé dans l’état de Turiya, il y a la cessation du désir et de l’individualité limitée.
III.42 – Bhutakancuki tada vimukto bhuya patisamanah parah
Les éléments (n’étant pour ce Yogin) que cuirasse, il est alors libéré et devient semblable à Shiva, le Seigneur suprême.
III.43 – Naisargikah pranasabandhah
L’union (étroite) au souffle de vie est (alors) naturelle.
III.44 – Nasikantarmadhyasamyamat kim atra samvyapasavyasausumnes
Par l’absorption répétée dans le pur Je (grâce à la méditation) au centre intime de l’énergie nasale (prana est relié au Soi / N° II.43), que le prana circule dans les nadis de droite, de gauche et du centre : la Sushumna (il reste toujours dans le Soi).
III.45 – Buyah syat pratimilana
De nouveau, il y a l’attention suprême (de la divine conscience).
Traduction de Lilian Silburn
Gloire à Celui dont la grandeur est indivise, à Celui qui suscite en son cœur l'univers entier, de la terre à l'éternel Siva, et qui par des combinaisons variées déploie les jeux infiniment divers des émanations et résorptions, gloire à cet unique Siva le Tout-Vibrant qui n'a d'autre support que Lui-même.
La trame des efforts étant mise en pièces, l'ambroisie flue de l'océan de la Conscience qui, bien qu'elle vibre à l'intérieur de toute chose, est scellée par un grand sceau ; gloire au héros qui après avoir totalement soulevé le sceau par des moyens appropriés, jouit de l'ouverture interne, source de parfaite plénitude. Gloire à lui. ce héros maître de l'énergie. KSEMARAJA
Livre I
1 - LA CONSCIENCE EST LE soi. Comment alors y a-t-il servitude ?
2 - LE LIEN EST UNE CONNAISSANCE LIMITEE, une impureté de finitude. Il est aussi :
3 - LE GROUPE DE L'ILLUSION et LE CORPS DE L'ACTIVITÉ FRAGMENTATRICE.
A savoir les impuretés d'illusion et d'action.
4 - LA MÈRE ,ENSEMBLE DES PHONÈMES EST L'ÉNERGIE QUI CONCERNE LA CONNAISSANCE.
C'est le langage qui engendre les trois impuretés ainsi que la connaissance limitée, cause de lien. Comment s'en délivrer ?
5 - L'ÉLAN EST BHAÏRAVA, L'ABSOLU, l'émergence de la suprême illumination libératrice du lien, dont le yogin émerveillé découvre peu à peu l'épanouissement : sans quitter le niveau supérieur immédiatement atteint, il s'oriente vers les niveaux inférieurs pour les rendre à leur nature divine, étendant la conscience bhairavienne du centre de la Roue jusqu'à la périphérie.
6 - EN SE RECUEILLANT INTENSÉMENT SUR LA ROUE DES ÉNERGIES
on obtient LA RÉSORPTION DE TOUT CE QUI EST. A savoir de l'univers différencié. Il en résulte, relativement à Siva et à l'énergie, le Quatrième état, conscience intériorisée qui va se répandre sur les états ordinaires :
7 - JUSQUE DANS LES ÉTATS DIFFÉRENCIÉS DE VEILLE, DE RÊVE ET DE PROFOND SOMMEIL SE PRODUIT L'EXPANSION DU QUATRIÈME.
8-10 - LA VEILLE CONSISTE EN CONNAISSANCE, LE RÊVE EN PENSÉE DUALISANTE ET LE SOMMEIL PROFOND EN ABSENCE DE DISCRIMINATION OU EN ILLUSION.
Définition du grand yogi qui a réussi à faire pénétrer la saveur du Quatrième état dans les trois autres et possède libre pouvoir sur ses organes :
11 - CELUI QUI JOUIT DES TROIS ÉTATS EST LE SOUVERAIN DES HÉROS,
ses énergies sensorielles.
C'est là son épanouissement intérieur.
Y a-t-il un indice qui permette de reconnaître le sommet atteint par ce yogin ?
12 - L'ÉMERVEILLEMENT CARACTÉRISE LES ÉTAPES DU YOGA QU’IL TRAVERSE. Vismaya, l'émerveillement accompagné de paix et de félicité inébranlables, est essentiel dans la voie de Siva. Désormais c'est l'énergie divine qui joue en lui :
13 - SA VOLONTÉ EST L'ÉNERGIE UMÂ, C'EST KUMÂRÏ, LA VIERGE.
Énergie suprême, ardente, sans attachement, elle n'est jamais objet mais toujours sujet. Le yogi à l'ardente volonté possède un corps universel :
14 - SON CORPS EST LE MONDE PERCEPTIBLE.
Tout ce qu'il voit est son corps. Ou son corps lui apparaît de façon objective. Comment obtenir cette Conscience universelle ? Voici deux moyens : le premier dans la voie divine, le second dans la voie de l'énergie lorsqu'elle est très proche de la voie de Siva :
15 - EN FAISANT FONDRE PAR FRICTION LA CONSCIENCE EMPIRIQUE DANS LE CŒUR, IL A LA VISION DU MONDE PERCEPTIBLE ET DE SVÂPA, L'ABSENCE DE SENSATION DANS LA VOIE DIVINE.
16 - OU BIEN EN SE RECUEILLANT INTENSÉMENT SUR LA PURE RÉALITÉ IL OBTIENT L'ÉNERGIE ILLIMITÉE.
17 – SON DISCERNEMENT EST CONNAISSANCE DU SOI.
Connaissance étendue, car le Soi y est l'univers. Maintenant son fruit :
18 - LE BONHEUR DU SAMÂDHI EST LA FÉLICITÉ DU MONDE.
Ces deux se confondent pour lui. Gloire de ce yogi dans la voie de l'énergie :
19 - EN SE RECUEILLANT INTENSÉMENT SUR L'ÉNERGIE, IL PRODUIT LE CORPS SOUHAITE.
Autres pouvoirs obtenus :
20 - UNIFICATION DES ÉLÉMENTS, SÉPARATION DES ÉLÉMENTS ET FUSION À TOUT.
Mieux vaut renoncer à ces pouvoirs et poursuivre la félicité de l'essence et de la Science. Dans la voie de Siva :
21 - LORSQUE APPARAÎT LA PURE SCIENCE, C'EST LÀ RÉALISER LA SOUVERAINETÉ SUR LA ROUE DES ÉNERGIES.
De façon analogue dans la voie de l'énergie :
22 - LORSQU'IL SE RECUEILLE SUR LE GRAND LAC, IL A L'EXPÉRIENCE DE L'EFFICIENCE DES MANTRAS, paroles sacrées.
Livre II
1 - Sa CONSCIENCE INTÉRIORISÉE EST LE MOT SACRÉ : MANTRA. Moyen utilisé pour pénétrer les mantras :
2 - L'ACTE ZÉLÉ EST ICI L'EFFICACE. Il correspond à l'élan de la voie de Siva. Définition de l'efficience de la parole sacrée (mantravïrya) :
3 - LE SECRET DES MANTRAS, C'EST L'EXISTENCE D'UN CORPS DE PURE SCIENCE.
Au I.14 est atteint le corps universel ; ici le corps de pure connaissance désigne l'ensemble des sons. Le sûtra 4 décrit l'illusion qui apparaît comme la réplique de cette pure Science s'il se contente de pouvoirs limités :
4 - L'ÉPANOUISSEMENT DE LA CONSCIENCE DANS LA MATRICE, L’ILLUSION CONSISTE EN UNE SCIENCE PRIVÉE DE DISCRIMINATION, UN RÊVE.
Mais si le yogi y renonce, il acquiert sans effort la khecarïmudrâ et l'efficience des mantra :
5 - IL OBTIENT L'ÉNERGIE QUI VOLE DANS L'ESPACE INFINI, L'ÉTAT DE SIVA, À L'APPARITION DE LA pure SCIENCE.
De quelle manière ?
6 - LE MAÎTRE EST LA VOIE.
Satisfait, il donne au disciple en guise de connaissance :
7 - LA COMPRÉHENSION DE LA ROUE DES PHONÈMES.
En conséquence pour ce yogi :
8 - LE CORPS EST L'OBLATION RITUELLE.
Après ce renoncement complet de tout son être, il élimine en l'absorbant la connaissance différenciée :
9 - La CONNAISSANCE EST SA NOURRITURE
Mais s'il perd sa vigilance et retombe en svapna :
10 - DÈS QUE LA SCIENCE MYSTIQUE SE RÉSORBE, LA PERCEPTION PROPRE AU « RÊVE » SURGIT DE CETTE RÉSORPTION. Ce qui forme transition vers la voie inférieure de l'individu ;
Livre III
1 - LE SOI EST LA CONSCIENCE EMPIRIQUE.
Dans la voie individuelle l'âtman n'est que conscience limitée dont :
2 - LA CONNAISSANCE FORME LE LIEN.
Pourquoi est-ce un lien ?
3 - L'ILLUSION CONSISTE A NE PAS DISCERNER LES CATÉGORIES QUE SONT LES ACTIVITÉS FRAGMENTATRICES, ETC.
Pour mettre fin à toute limite :
4 – OPÉRER DANS LE CORPS LA RÉSORPTION DES ACTIVITÉS FRAGMENTATRICES. Quatre sont les moyens à utiliser en ce but :
5 - RÉSORBER LES CANAUX, CONQUÉRIR LES ÉLÉMENTS GROSSIERS, S'ISOLER DES ÉLÉMENTS ET SE SÉPARER DES ÉLÉMENTS.
D'où quatre grands siddhis acquis ici avec efforts par un yogi encore victime de l'illusion :
6 - LE POUVOIR SURNATUREL EST DÛ AU VOILE DE L'OBSCURCISSEMENT.
Que ce voile disparaisse, le yogi jouira de l'infinité et, jouissant de l'infinité, il entrera en suddhavidyâ :
7 - GRÂCE À LA VICTOIRE SUR L'OBSCURCISSEMENT, VICTOIRE S'ÉTENDANT À L'INFINI, IL CONQUIERT LA SCIENCE INNÉE.
Étant entré dans la voie de Siva grâce à la pure Science, l'univers n'est pour lui que son propre rayonnement :
8 - VIGILANT, IL A POUR RAYON LE SECOND (l'univers).
Toujours bien éveillé il y joue la pantomime universelle : Description de la libre activité de jeu lorsque la nature réelle, intense et subtile vibration, est atteinte :
9 - LE SOI EST LE DANSEUR.
10 - LE SOI INTÉRIEUR EST LA SCÈNE ; il y assume des rôles multiples.
11 - SES ORGANES SENSORIELS SONT LES SPECTATEURS.
12 - GRÂCE AU POUVOIR DE L'INTUITION, IL ATTEINT AVEC SUCCÈS LA NATURE RÉELLE.
Son jeu n'est que sa conscience illuminée :
13 - LA LIBERTÉ EST ATTEINTE AVEC SUCCÈS.
Celle-ci consiste à ne pas distinguer l'intérieur de l'extérieur, non seulement en soi-même mais en tout et n'importe où :
14 - TEL IL EST LÀ DANS SON CORPS, TEL IL EST AUTRE PART.
Mais s'il déchoit par manque de vigilance, alors dans la voie inférieure, appel à un recueillement perpétuel fixé sur le germe universel, la Conscience :
15 - L'ATTENTION SUR LE GERME DOIT ÊTRE FIXÉE.
Moyen de rendre l'attention permanente et de demeurer absorbé dans le lac de la Conscience, source d'où flue l'univers :
16 - ÉTABLI EN CETTE ATTITUDE, IL PLONGE AISÉMENT DANS LE LAC.
Alors, grâce à son indépendance, il obtient des pouvoirs surnaturels qui ne sont qu'une gerbe d'étincelles de conscience :
17 - IL RÉALISE UNE CRÉATION FAITE D'UNE PARCELLE DE SOI.
18 - TANT QUE LA PURE SCIENCE NE DISPARAÎT PAS, LA NAISSANCE CESSE.
Quand suddhavidyâ émerge de façon permanente, il n'y a plus ni naissance ni mort. Mais qu'elle s'immerge lors de l'aspiration à des pouvoirs limités, et l'illusion l'emporte :
19 - DANS LES GROUPES DE PHONÈMES GUTTURAUX, ETC., LA GRANDE DÉESSE ET LES AUTRES ÉNERGIES, CES MÈRES DES ÊTRES ASSERVIS deviennent les divinités directrices qui égarent les êtres manquant de vigilance et captifs du discours ; c'est pourquoi, en toute vigilance :
20 - LE QUATRIÈME DOIT ÊTRE RÉPANDU SUR LES TROIS AUTRES COMME DE L'HUILE.
Comment accomplir ceci ? Le yogi pénètre d'abord en turya par une prise de conscience de Soi illuminée :
21 - UNE FOIS IMMERGÉ DANS LE QUATRIÈME, QU'IL PÉNÈTRE DANS LES TROIS ÉTATS À L'AIDE DE SA PROPRE CONSCIENCE INTÉRIORISÉE. Puis il retourne dans la voie de Siva ; et voici comment il effectue la kramamudrâ :
22 - QUAND LE SOUFFLE FONCTIONNE DE FAÇON ÉGALE, IL PERÇOIT L'ÉGALITÉ EN TOUTES CHOSES à l'issue du samâdhi. Mais s'il renonce à la pratique égalisatrice de la kramamudrâ et se contente du Quatrième état, ne s'absorbant pas en turyâtïta :
23 - UN ÉCOULEMENT INFÉRIEUR A LIEU AU COURS DE L'ÉTAPE INTERMÉDIAIRE.
Il retombe dans la voie inférieure au niveau le plus bas du Quatrième état ; mais s'il demeure vigilant :
24 - À NOUVEAU QUAND IL SE RECUEILLE INTENSÉMENT SUR SES EXPÉRIENCES DU JE EN LES UNISSANT AUX ÉTATS OBJECTIFS, RESURGIT CE QUI ÉTAIT PERDU.
Étant conscient dans toutes ses activités, sa pure Conscience réapparaît, d'où son retour dans la voie de Siva ;
25 - IL DEVIENT PAREIL À SIVA.
Mais ce n'est qu'après la mort qu'il lui sera identique. Sa routine quotidienne :
26 - LES FONCTIONS DU CORPS FORMENT SON OBSERVANCE RELIGIEUSE.
27 - SA CONVERSATION EST RÉCITATION, mantra véritable,
28 - LA CONNAISSANCE DU SOI EST LE DON.
Son activité quotidienne : conférer la connaissance du Soi à ses disciples.
Comme un bon berger il les protège :
29 - IL REMPLIT LE RÔLE DE BERGER CAR IL EST SOURCE DE CONNAISSANCE.
Hauts et bas de sa gloire : de nouveau, dans la voie de l'énergie, description de son propre épanouissement :
30 - L'UNIVERS EST L'EXPANSION DE SA PROPRE ÉNERGIE.
Il voit le monde comme une masse d'énergie :
31 - MAINTIEN ET RÉSORPTION DE L’UNIVERS sont aussi l'expansion de son énergie.
32 - BIEN QUE CES ETATS FONCTIONNENT, LUI NE S'ÉCARTE PAS DE SA NATURE DE SUJET CONNAISSANT.Car ce yogi :
33 - CONSIDÈRE COMME EXTÉRIEURS A LUI PLAISIR ET DOULEUR.
34 - PARCE QU'IL EN EST COMPLÈTEMENT LIBÉRÉ, ON LE DIT ISOLÉ.
Si plaisir et douleur ne se fondent pas dans l'égalité, le yogi retombe dans le karma, l'engrenage de l'acte et de sa fructification :
35 - PAR CONTRE CELUI QUE RESTREINT L'OBSCURCISSEMENT EST FAIT D'ACTES KARMIQUES.
Il en est le jouet et non celui qui s'en joue.
36 - UNE FOIS LA DIFFÉRENCIATION ÉLIMINÉE, IL EFFECTUE UNE AUTRE CRÉATIVITÉ, D’ORDRE DIVIN à condition de rester conscient de sa propre essence. Il comprend la cause de cette faculté qu'il possède de créer à volonté :
37 - CHACUN ÉPROUVE PAR SA PROPRE EXPÉRIENCE L'ÉNERGIE CRÉATRICE AU COURS DU RÊVE ; il comprend alors de quelle puissance créatrice jouit le Soi. Que faut-il faire dans la voie individuelle pour posséder une telle énergie ? Reprenant l'animation à partir du début, il doit à l'aide du Quatrième :
38 - ANIMER LES TROIS ÉTATS.
Puis dans la voie de l'énergie, il utilise ce même moyen mais au niveau de la haute parole, la voyante (pasyantî), et anime les trois états :
39 - DANS LE CORPS, DANS LES ORGANES ET DANS LES OBJETS EXTERNES COMME IL LE FAIT AU NIVEAU DE LA CONSCIENCE INTÉRIORISÉE, accomplissant ainsi une création divine du monde dit objectif. S'il n'est pas vigilant et si une ombre de désir subsiste en lui ou que des tendances résiduelles l'inclinent vers quelque objet :
40 -EN RAISON DE SON PENCHANT,SE DIRIGEANT VERS L'EXTÉRIEUR, IL EST «TRAÎNÉ ».
Mais dès que sa conscience est fermement établie dans le Quatrième état, alors ce penchant disparaît et il jouit de liberté :
41 - SA CONNAISSANCE FERMEMENT ÉTABLIE DANS LE QUATRIÈME, GRÂCE À LA DISPARITION DE CE PENCHANT, L'INDIVIDUALITÉ DISPARAÎT COMPLÈTEMENT.
Retour à la voie divine. Ce qu'est la nature absolue (kaivalya) quand le je, limité a disparu : bien que le yogi réside dans un corps celui-ci n'est pour lui qu'une cuirasse, car il n'y investit pas son moi :
42 - LES ÉLÉMENTS N’ÉTANT POUR LUI QU'UNE CUIRASSE, ALORS COMPLÈTEMENT LIBRE, IL EST ÉMINEMMENT SEMBLABLE AU SOUVERAIN, LE SUPRÊME.
Il est recouvert des éléments corporels mais non du désir. Semblable à Siva, non point identique à lui car :
43 - L'UNION AU SOUFFLE DE VIE EST NATURELLE.
Elle ne peut être évitée. Mais même uni au corps, si le yogi demeure vigilant, bien établi au Centre :
44 - AYANT MAÎTRISÉ LA CONSCIENCE RÉSIDANT AU CENTRE INTIME DU SOUFFLE NASAL, QUE LUI IMPORTE LE PARCOURS DU SOUFFLE DANS LES CANAUX DE GAUCHE, DE DROITE OU DU MILIEU ?
Fruit de ce yoga : l'illumination ininterrompue qui n'est nullement nouvelle ; depuis toujours il la possède :
45 - DE NOUVEAU IL Y A RÉOUVERTURE DES YEUX.
Réapparition de la nature divine, l'univers entier surgit de la Conscience absolue chez le libéré vivant actif en ce monde.
LE SPANDA KARIKA
Daniel Odier
Le chant tantrique du frémissement, par Kallata (IXème siècle)
1 La vénérée Shankari (Shakti), source de l'énergie, ouvre les yeux et l'univers se résorbe en pure conscience, elle les ferme et l'univers se manifeste en elle.
2 Le frémissement, lieu même de la création et du retour, est dépourvu de toute limite car sa nature est dépourvue de forme.
3 Même au sein de la dualité le tantrikâ plonge à la source non duelle car la pure subjectivité demeure toujours immergée en sa propre nature.
4 Toutes les notions relatives liées à l'ego retrouvent leur source paisible profondément enfouie sous les différents états.
5 Au sens absolu, plaisir et souffrance, sujet et objet, ne sont rien d'autre que l'espace de la conscience profonde.
6/7 Saisir cette vérité fondamentale, c'est voir partout la liberté absolue. Ainsi, le mouvement des sens lui-même réside en cette liberté fondamentale et s'épanche à partir d'elle.
8 Alors, celui qui retrouve ce frémissement essentiel de la conscience échappe à l'obscurcissement du désir limité.
9 Ainsi libéré de la multiplicité des impulsions liées à l'ego, il fait l'expérience de l'état suprême.
10 Il réalise enfin que la qualité fondamentale du tantrikâ est la liberté d'être à travers laquelle le désir retrouve son universalité.
11 Comment ce tantrikâ émerveillé qui revient toujours à sa propre nature fondamentale comme source de toute manifestation pourrait-il être sujet à la transmigration?
12 Si le vide pouvait être un objet de contemplation, où serait la conscience qui l'appréhenderait?
13 Considère donc la contemplation de la vacuité comme un artifice d'une nature analogue à celle d'une profonde absence au monde.
14/15/16 Celui qui agit et l'action sont unis mais lorsque l'action se dissout par abandon du fruit de l'acte, la dynamique même liée à l'ego s'épuise et le tantrikâ qui est absorbé dans cette contemplation profonde découvre le frémissement libéré du lien à l'ego. La nature profonde de l'action est alors révélée et celui qui a intériorisé le mouvement du désir ne connaît plus la dissolution. Il ne peut cesser d'exister car il est revenu à la source profonde.
17 Le tantrikâ éveillé réalise ce frémissement continu à travers les trois états.
18 Shiva est alors en union amoureuse avec Shakti sous la forme de la connaissance et de son objet alors que partout ailleurs il se manifeste comme pure conscience.
19 Toute la palette sonore des différentes sortes de frémissements trouve sa source dans le frémissement universel de la conscience et touche ainsi à l'être. Comment un tel frémissement pourrait-t-il limiter le tantrikâ?
20 Pourtant ce frémissement même cause la perte des êtres sujets aux vues limitées car, l'intuition déconnectée de la source profonde, ils se jettent dans le tourbillon de la transmigration.
21 Celui qui tend avec ardeur vers le frémissement profond touche à sa vraie nature même au sein de l'activité.
22 Le frémissement profond peut être touché dans les états extrêmes: la colère, la joie intense, l'errance mentale ou l'élan de survie.
23/24 Lorsque le tantrikâ s'en remet à Shiva/Shakti, le soleil et la lune s'élèvent dans le canal central.
25 A cet instant, lorsque dans le ciel le soleil et la lune disparaissent, l'éveillé demeure lucide alors que l'être ordinaire sombre dans l'inconscience.
26/27 Les mantras, lorsqu'ils sont chargés de la puissance du frémissement, accomplissent leur fonction à travers les sens de l'éveillé. Ils s'unissent à l'esprit du tantrikâ qui pénètre la nature de Shiva/Shakti.
28/29 Toute chose émerge de l'essence individuelle du tantrikâ qui se reconnaît en Shiva/Shakti, tout ce dont il jouit est Shiva/Shakti. Ainsi, il n'y a aucun état qui puisse être nommé qui ne soit Shiva/Shakti.
30 Toujours présent à la réalité qu'il perçoit comme le jeu de sa propre nature, le tantrikâ est libéré au sein même de la vie.
31 Par l'intensité du désir sans objet la contemplation émerge dans le cœur du tantrikâ uni au frémissement profond.
32 Cela constitue l'atteinte du nectar suprême, l'immortalité du samadhi qui révèle au tantrikâ sa propre nature.
33/34 L'ardeur envers Shiva/Shakti qui manifeste l'univers permet au tantrikâ d'être comblé. Au cours du rêve le soleil et la lune se manifestent en son cœur et tous ses souhaits sont exaucés.
35 Mais s'il n'est pas présent, le tantrikâ sera trompé par le jeu de la manifestation et connaîtra l'état illusoire de l'aspirant à travers la veille et le sommeil.
36/37 Comme un objet qui échappe à l'attention est plus clairement perçu lorsqu'on fait l'effort de mieux le cerner, le frémissement suprême apparaît au tantrika lorsqu'il tend vers lui avec ardeur. Ainsi tout s'accorde à l'essence de sa vraie nature.
38 Même dans un état d'extrême faiblesse, un tel tantrikâ parvient à l'accomplissement. Même affamé, il trouve sa nourriture.
39 Avec pour seul appui la reconnaissance du cœur, le tantrikâ est omniscient et en harmonie avec le monde.
40 Si le corps/esprit est ravagé par le découragement dû à l'ignorance, seule l'expansion de la conscience hors de toute limite dissipera une lassitude dont la source aura alors disparu.
41 La révélation du Soi surgit chez celui qui n'est plus que désir absolu. Que chacun en fasse l'expérience!
42 Alors que la lumière, le son, la forme et le goût viennent entraver celui qui est encore lié à l'ego.
43 Lorsque le tantrikâ pénètre toute chose de son désir absolu, à quoi servent les mots? Il en fait l'expérience par lui-même.
44 Que le tantrikâ demeure présent, les sens disséminés dans la réalité avec vigilance et connaisse la stabilité.
45 Celui qui est privé de son pouvoir par les forces obscures de l'activité limitée devient le jouet de l'énergie des sons.
46 Pris dans le champ des énergies subtiles et des représentations mentales, la suprême ambroisie se dissout et l'être oublie sa liberté innée.
47 Le pouvoir de la parole est toujours prêt à voiler la nature profonde du Soi car aucune représentation mentale ne peut s'affranchir du langage.
48 L'énergie du frémissement qui traverse l'être vulgaire l'asservit alors que cette même énergie libère celui qui est sur la Voie.
49/50 Le corps subtil lui-même est une entrave liée à l'intelligence limitée et à l'ego. L'être asservi fait les expériences qui sont liées à ses croyances et à l'idée qu’il se fait de son corps et par là même perpétue le lien.
51 Mais lorsque le tantrikâ s'établit dans le frémissement de la réalité, il libère le flux de la manifestation et du retour et jouit ainsi de la liberté universelle en maître de la roue des énergies.
52 Je vénère la parole spontanée, frémissante et merveilleuse de mon maître qui m'a fait traverser l'Océan du doute.
53 Que ce joyau de connaissance conduise tous les êtres, comme Vasugupta les conduisit, à toucher la vraie nature de la réalité et qu'ils le gardent au plus profond de leur cœur.
LES STANCES SUR LA VIBRATION
Texte traduit et annoté par Lilian Silburn
1. Nous offrons nos louanges à ce Seigneur, source du glorieux déploiement de la Roue des énergies, à Lui qui en ouvrant et en fermant les yeux fait disparaître et apparaître l'univers.
2. À ce en quoi demeure tout ce créé, à ce d'où il émerge, à cela aucun obstacle nulle part, puisque, en raison de son essence, rien ne peut le voiler.
3. Bien que ce (spanda) se répande en états distincts de veille, de sommeil et autres, qui sont en réalité non distincts de lui, il ne déserte jamais sa propre nature de sujet qui perçoit.
4. Il est évident que les formes de conscience «je suis heureux, je suis malheureux, je suis attaché» ont leur tourbillonnante existence autre part, là où est ourdie la trame qui relie les états de bonheur et autres.
5. Là où il n'y a ni douleur, ni plaisir, ni chose perceptible, ni agent percevant, ni insensibilité non plus, la réside ce qui existe au sens suprême.
6-7. La Réalité à partir de laquelle il y a déploiement, maintien et résorption de l'ensemble des organes associés à la Roue intériorisée des énergies —ensemble qui, inconscient, se comporte comme s'il était conscient par soi-même— une telle Réalité doit être scrutée avec zèle et respect, elle dont l'autonomie est innée et universellement répandue.
8. Ce n'est certes pas à l'incitation de l'aiguillon de son propre désir que l'homme agit, c'est uniquement grâce à son contact avec la puissance du Soi qu'il s'identifie à Lui.
9. Dès que s'apaise l'agitation de celui qui, rendu impuissant par l'impureté qui lui est propre, aspire à des tâches, alors l'état suprême se révèle.
10. Se révèle à lui, en effet, sa nature sans artifice que caractérisent l'omniscience et l'omnipotence; par là et il connaît et il fait tout ce qu'il désire.
11. D'où le misérable flux proviendrait-il pour qui demeure comme frappé d'émerveillement lorsqu'il contemple sa propre nature de sustentateur actif?
12. Le non-être n'est pas l'objet d'expérience mystique mais en cet état il n'y a pas non plus insensibilité étant donné qu'on y réfère par la suite avec la certitude que «ceci a existé».
13. C'est pourquoi celui-ci connu comme fictif est toujours comparable à l'état de sommeil profond. Mais il n'en est pas de même de la Réalité qui, elle, ne peut être objet de souvenir.
14. Par les expressions agent et action, on désigne ici deux états de ce spanda. L'action est périssable, mais l'agent est impérissable.
15. Seul l'effort qui se dirige vers l'acte à accomplir est ici anéanti. Cet effort étant anéanti, le non-éveillé s'imagine qu'il est, lui aussi, anéanti.
16. Quant à la modalité intériorisée, habitacle des qualités d'omniscience, etc… elle ne peut jamais être anéantie sous le prétexte qu'il n'y a pas de perception de «l'autre».
17. Le parfaitement éveillé a la perception ininterrompue de cette vibrante Réalité toujours dans les trois états, tandis que l'autre ne l'a qu'au commencement et à la fin de ces états.
18. L'Omnipénétrant, indissolublement uni à sa suprême énergie, resplendit dans les deux états (rêve et veille) sous les aspects de connaissance et de connaissable. Autre part1, il est la conscience même.
19. Les émanations des vibrations particulières, à commencer par les qualités2, qui recouvrent leur essence grâce à la vibration générique qu'elles prennent pour support, cessent à jamais de détourner du chemin celui qui sait.
20. Mais ces émanations particulières, toujours empressées à dissimuler leur propre assise, précipitent ceux dont l'intelligence est mal éveillée dans l'effroyable tourbillon de la transmigration auquel il est si difficile d'échapper.
21. En conséquence, celui qui est toujours ardent à discerner la Réalité vibrante accède sans délai à la nature innée, même s'il se trouve à l'état de veille.
22. Au comble de la furie, ou transporté de joie, ou épouvanté et ne sachant plus que faire, ou encore courant à perdre haleine pour sauver sa vie, un yogin atteint le domaine où le spanda est bien établi.
23. Ayant fermement pris pour appui ce spanda, on s'y établit, résolu à faire nécessairement tout ce qu'il dictera.
24. Y prenant repos, le souffle inspiré et le souffle expiré ayant quitté le domaine de l'œuf de Brahma (le monde) s'absorbent dans la voie médiane selon un cheminement ascendant.
25. Alors en ce grand éther où lune et soleil3 se dissolvent, le yogin à l'esprit confus tombe dans une sorte de sommeil sans rêve tandis que l'éveillé n' a plus aucun voile.
26. Quand ils se sont emparés de cette puissance, les mantras, pourvus de la puissance de l'Omniscient, remplissent leurs fonctions comme le font les organes sensoriels des êtres doués de corps.
27. Et là même, immaculés, quiescents, ils s'engloutissent, unis à la pensée de l'adorateur; ils sont alors de la nature de Shiva.
28-29. Puisque l'individu est identique à tout car il est la source de toutes les choses et en a conscience du fait qu'il reconnaît cette identité (28), il n'y a donc, quant à parole, sens, pensée, point d'état qui ne soit Shiva; c'est le Sujet qui jouit et lui seul qui toujours et partout se tient sous l'aspect de ce dont il jouit.
30. Ou aussi celui qui détient cette Connaissance (que tout est Shiva) et qui, constamment vigilant, perçoit l'univers entier comme un jeu, est un délivré vivant, aucun doute à cela.
31. Ceci même est l'apparition de ce qui est contemplé dans le cœur de qui contemple; pour le fidèle au désir ardent, la mise à l'unisson est identification à ce qui est contemplé.
32. Ceci même est l'acquisition de l'ambroisie, ceci même est la saisie du Soi suprême, ceci même est l'initiation au nirvâna qui confère la réelle nature de Shiva.
33. De même que pendant l'état de veille, en faisant surgir soleil et lune, Shiva qui soutient l'univers, ardemment sollicité, accorde la satisfaction des désirs enracinés dans leur cœur aux êtres pourvus d'un corps,
34. De même durant le rêve, en se tenant à la jonction, le Seigneur révèle sans aucun doute, toujours plus clairement, les choses auxquelles aspire celui dont jamais ne cesse l'attitude d'amour.
35. Sinon, la libre émanation, selon sa nature, continuera au cours des deux états de veille et de rêve à se jouer perpétuellement du yogin comme de l'homme ordinaire.
36. En vérité tout comme un objet qui n'est pas distinctement perçu en dépit de l'attention que la pensée lui prête, devient de plus en plus distinct quand on l'examine avec l'effort exercé par sa propre puissance,
37. De même du point de vue suprême, quel que soit la forme, le lieu ou l'état, la chose se présente sans délai de cette manière au yogin qui s'empare de cette puissance du spanda.
38. Dès qu'on s'est emparé de cette puissance, on accomplit ses tâches même épuisé et, bien que très affamé, on apaise également sa faim.
39. Si, dans le corps qui prend pour appui cette vibrante Réalité, apparaissent l'omniscience et d'autres pouvoirs, de même, en prenant pour soutien son propre Soi, c'est partout que l'on deviendra tel (omniscient).
40. L'indolence, la ravisseuse, sévit dans le corps; sa propagation est due à l'ignorance. Si celle-ci est «ravie» sous l'effet de l'Éveil, comment cette indolence subsisterait-elle alors, quand sa cause n'est plus?
41. Chez celui qui s'adonne à une seule pensée, ce dont surgit «l'autre», voici ce qui doit être reconnu comme Éveil cosmique. Mais qu'on l'éprouve par soi-même.
42. De là procèdent immédiatement et lumière, et son, et forme, et goût surnaturels, causant de l'agitation chez l'être lié au corps.
43. Celui qui demeure immobile, diffusant la Conscience en toute chose comme au moment où l'on a le désir de voir, alors… mais à quoi bon en dire davantage, il l'éprouvera par lui-même.
44. Qu'il demeure toujours bien éveillé tout en percevant le domaine sensoriel à l'aide de la connaissance, qu'il érige toute chose en un seul lieu, et plus rien ne le tourmentera.
45. En dépit de sa véritable nature, sa gloire lui étant ravie par son activité limitée, et lui-même étant réduit à l'état d'objet dont jouit l'ensemble des énergies issues de la multitude des sons, on le nomme être asservi.
46. L'irruption des réactions, c'est pour lui la perte de la saveur de la suprême ambroisie; en conséquence, il est réduit à l'état de dépendance et cette irruption a pour domaine les éléments subtils.
47. Et pour lui ces énergies sont toujours empressées à voiler son essence car les réactions ne surgiraient pas si elles n'étaient pas intimement liées aux mots.
48. Cette énergie de Shiva qui a l'activité pour forme engendre la servitude quand elle réside dans l'être asservi, mais, reconnue comme la voie donnant accès au Soi, c'est elle qui confère la perfection libératrice.
49. Entravé par l'octuple forteresse issue des éléments subtils et pourvue de pensée, d'agent d'individuation, d'intelligence discriminatrice, l'être dépendant est soumis à des expériences dues à des réactions qui procèdent de cette forteresse.
50. En conséquence il transmigre. Examinons donc la cause apte à éliminer pour lui ce passage d'existence en existence.
51. Mais quand il s'enracine en un seul lieu (le spanda), alors contrôlant apparition et dissolution de ce corps subtil, il accède à l'état de sujet qui expérimente et il devient le Souverain de la Roue des Énergies.
52. Je rends hommage à cette merveilleuse «parole» du maître au sens extraordinaire, barque qui fait traverser l'insondable océan du doute.
LE PRATYABHJNAHRDAYAM
Le secret de la reconnaissance du coeur Pratyabhijnâhrdayam est l’œuvre de Kshemarâja, sage indien du Xème siècle, disciple d'Abhinavagupta,
"OM ; je me prosterne devant le Suprême Shiva qui exécute constamment le jeu des cinq fonctions cosmiques : création, maintien, dissolution, dissimulation et grâce. Il révèle continuellement la vraie nature de la Réalité transcendante : Il est Conscience et Béatitude."
.1 - La Citi (Conscience absolue - Pouvoir universel), de sa propre volonté libre, est la cause de la siddhi (manifestation) de l'univers.
.2 - Par le pouvoir de sa seule volonté, Elle (Citi) déploie l'univers sur son propre écran (c'est à-dire en elle-même en tant que fondement de l'univers).
.3 - Cela (c’est-à-dire l'univers) est multiple à cause de la différenciation en objets et en sujets qui s'adaptent réciproquement.
.4 – L'expérimentateur (individuel) aussi, dans lequel Citi ou la conscience est contractée, a l'univers (en tant que son corps) sous une forme contractée.
.5 - Citi (Conscience universelle) elle-même descendant de (l'état de) Cetana (l'état de Conscience non-contractée), devient citta (conscience individuelle), dans la mesure où elle devient contractée en conformité avec les objets de conscience.
.6 - Le mâyâ-pramâtrâ (le soi empirique gouverné par mâyâ) consiste en cela (c’est-à-dire en citta).
.7 – Et bien qu'il soit Un, il devient double, triple, quadruple et de la nature de sept pentades (les trente-cinq tattvas au-dessous de Shiva).
.8 - Les positions des différents systèmes philosophiques, sont seulement des rôles divers de cela (la Conscience ou Soi).
.9 - En conséquence de sa limitation de Sakti (énergie), la Réalité qui est toute Conscience, devient le samsârin (être transmigratoire) recouvert par les malas (ignorance-limitation).
.10 - Même dans cette condition (du soi empirique), il (l'individu) accomplit les cinq kriyas (actions) comme Lui (Shiva).
.11 – Création, maintien, dissolution, dissimulation et révélation.
.12 - Être un sâmsarin signifie être illusionné par ses propres pouvoirs à cause de l'ignorance de cela (qu'il est l'auteur de l'Acte quintuple.).
.13 - Acquérant la pleine connaissance de ceci (c'est-à-dire d'être l'auteur de l’Acte quintuple), citta Lui-même devient Citi en s'élevant au statut de Cetana.
.14 - Le feu de Citi, même quand il descend à l'étape inférieure, bien qu'il soit recouvert (par mâyâ) brûle partiellement le combustible des objets connus.
.15 – En acquérant le pouvoir inhérent de Citi, lui, l'aspirant assimile l'univers à Lui-même.
.16 - Quand la félicité de Cit est atteinte, il y a stabilité de la conscience de l'identité avec Cit Lui-même en ayant l'expérience du corps, etc. Cet état est jîvanmukti (c'est à-dire libération même en étant vivant).
.17 - Par le déploiement du Centre (Madhya), vient l'acquisition de la félicité de Cit.
.18 – Ici (c’est à-dire pour le développement du Centre), les moyens sont : dissolution de vikalpa, sankoca et vikâsa de sakti , couper les vâhas, pratique (de la contemplation) du koti (point) du commencement et de la fin.
.19 - En vyutthâna qui est plein des effets postérieurs du Samâdhi, il y a obtention du Samâdhi permanent, en demeurant dans son identité avec Cit (Conscience universelle) encore et encore.
.20 - Alors (c'est-à-dire à l'obtention de la krama-mudrâ), comme résultat de l'entrée dans une parfaite conscience de Je ou Soi qui est dans son essence Cit et Ananda (Conscience et Béatitude) et de la nature du grand pouvoir du mantra, est obtenue la seigneurie sur un groupe de divinités de la Conscience, qui suscitent toute l'émanation et la résorption de l'univers. Tout cela est de la nature de Shiva."